En Afghanistan, pilule sans lendemain

Dès qu’elle le peut, Ayesha enfile sa burqa bleu délavée pour faire le tour des pharmacies de son quartier, avec le même espoir : trouver enfin une pilule contraceptive. Vaines tentatives. À chaque fois, elle rentre bredouille. Dans son quartier ultra-­conservateur de Mazâr-e-Charîf, au nord de l’Afghanistan, sortir de son appartement sans son mari est déjà un exploit. Mais Ayesha n’a pas le choix. À 22 ans, elle est déjà mère de trois enfants. En avoir un quatrième ? « Ce serait une véritable catastrophe », soupire-t-elle au téléphone. Mariée de force à l’un de ses cousins quand elle avait 16 ans, elle a la voix qui vacille à l’idée d’être de nouveau enceinte. Elle avait pourtant tout prévu pour que ça n’arrive pas. Ses contraceptifs, elle les cachait dans une vieille boîte de serviettes hygiéniques que son mari « n’aurait jamais osé toucher ». Mais voilà, depuis plusieurs mois, la boîte est vide. À Mazâr-e-Charîf comme dans tout le pays, les précieuses pilules disparaissent discrètement des pharmacies.

Il était 10 heures du matin, ce fameux 15 août 2021, quand les premiers talibans ont pénétré dans Kaboul. Quinze minutes plus tard, le porte-parole des insurgés, Zabihullah Mujahid, affirmait que toutes les régions du pays étaient passées « sous le contrôle de l’Émirat islamique ». On connaît la suite : un mois après leur prise de pouvoir, les talibans ont appliqué leur programme mortifère pour les femmes. Interdiction pour les jeunes filles d’étudier au-delà de la sixième. Obligation pour toutes de se couvrir le visage et de rester chez elles, sauf en cas de nécessité. Parcs, salles de sport, hammams leur sont désormais interdits. Même les salons de beauté, jadis haut lieu de socialisation pour les Afghanes, ont été fermés. Le message est clair : au sein de l’Émirat islamique d’Afghanistan, elles n’ont plus leur place. Et maintenant, voilà que les plus conservateurs des talibans font tout pour organiser la pénurie de pilules contraceptives.

en afghanistan, pilule sans lendemain

Une femme à la radio en Afghanistan (image d’illustration).

Car officiellement, la contraception reste autorisée en Afghanistan. Aucun décret n’interdit la distribution de pilules et le gouvernement fait appel à des organisations internationales afin que les femmes en bénéficient. À Kaboul, on trouve des plaquettes dans la plupart des pharmacies. « Il n’y a pas de problème, nous assure un grossiste. Je passe mes commandes comme d’habitude. » Pas de problème, vraiment ? Depuis quelques mois, des milices ultra-conservatrices multiplient les visites dans les officines. « On m’a fait comprendre que c’était mieux si j’arrêtais de vendre des préservatifs et des pilules, raconte un pharmacien. C’étaient des jeunes talibans, pas les chefs. Ils n’ont pas de pouvoir mais je préfère éviter les problèmes. »

À Mazâr-e-Charîf, un autre raconte comment des barbus sont venus lui rendre une « visite de courtoisie ». « Depuis quand en vends-tu ? », « Combien de clientes en achètent ? » Lors de leur deuxième visite, le commerçant comprend. « La patrouille m’a recommandé de ne pas vendre de contraception. Quand un taliban conseille quelque chose, c’est un ordre. Le lendemain, j’ai vendu mon stock sur le marché noir. » Conséquence : les commandes sous le manteau de médicaments contraceptifs explosent depuis des mois. Pour en comprendre l’étendue, il faut se plonger dans les entrailles de la clandestinité pakistanaise.

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AFGHAN WOMEN DOCTORS TALIBAN Une radiologue reçoit une patiente dans un hôpital de la province de Wardak, en Afghanistan, en octobre 2022. The Washington Post/Getty Images

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AFGHAN WOMEN DOCTORS TALIBAN Des patients et leurs familles dans un hôpital de la province de Wardak, en Afghanistan, en octobre 2022. The Washington Post/Getty Images

Enfants passeurs et douaniers corrompus

En cette journée d’automne, dans le nord du Pakistan, voilà bientôt une heure que nous progressons sur la passe de Khyber, l’une des routes les plus dangereuses au monde. Kidnappings, attentats, éboulements : le principal passage qui relie les laboratoires d’héroïne du pays aux champs de pavots d’Afghanistan est un traquenard à ciel ouvert. Devant nous se dresse un paysage lunaire englouti par des montagnes qui menacent de s’effondrer. Dans ce décor austère, parsemé d’avant-postes de sentinelles construits par les Britanniques il y a plus d’un siècle, de nombreux check-points maintiennent la fragile sécurité de la région. Au-delà du dernier barrage que nous nous apprêtons à franchir, la présence d’étrangers est interdite. « Si la police ou l’armée pakistanaise te voient, ils te ramèneront à Peshawar », m’explique Hussein au volant, avant de me conseiller de me cacher à l’arrière de la voiture. Hussein est fixeur. Dans le jargon journalistique, le terme désigne la personne chargée d’accompagner le reporter pour lui faciliter les rencontres, et traduire au besoin les échanges.

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Un magasin de vêtements pour femmes en Afghanistan

Nous parvenons à Torkham, poste frontalier entre l’Afghanistan et le Pakistan. « Le cœur du marché noir », souffle Hussein, en observant la cinquantaine d’enfants chaussés de sandales ou de chaussures de sport. Tous portent d’énormes sacs confectionnés avec des toiles de tentes du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) ou des balles de riz siglées FAO (l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture). Tous les jours, ce sont des centaines d’enfants qui marchent ainsi des kilomètres pour faire transiter des denrées interdites, sous le regard complice de douaniers corrompus.

Un peu plus loin, à l’abri des regards, un jeune garçon serre la ficelle de son sac de fortune. À ma demande, il accepte de l’ouvrir. Deux cartouches de cigarettes, des faux ongles, du maquillage mais aussi une grande quantité de tablettes de médicaments. Tout au fond, des dizaines de boîtes roses plus ou moins abîmées s’entassent les unes sur les autres. Voilà les fameuses pilules contraceptives. D’habitude, le gamin transporte des tablettes Familia 28F. Aujourd’hui, on lui a juste donné des boîtes de la marque Acnot, de facture pakistanaise. « Elles vont atterrir sur le marché noir en Afghanistan, puis se retrouver dans les pharmacies du pays », explique Hussein. Le jeune garçon, d’abord craintif, se détend une fois la discussion lancée sur le match de cricket de la veille (l’Australie jouait contre le Sri Lanka). Tous les jours, il effectue quatre à cinq allers-retours entre les deux pays, effectuant une douzaine de kilomètres pour ramener quelques dollars à ses parents. Son patron est un ganda mar de Landi Kotal, la ville toute proche. Ganda mar : littéralement, « celui qui porte avec ses mains » en pachto, la langue locale. Communément, cette formule désigne les trafiquants.

Le Pablo Escobar pakistanais

L’un des fameux ganda mar de la région a accepté de me recevoir. À condition que je vienne seulement avec mon fixeur. « L’homme est légèrement paranoïaque », me prévient-on. Vingt minutes après avoir quitté la frontière de Torkham, apparaît, entre les monts Safed Koh et Kachmund, la ville de Landi Kotal. Une oasis pour les trafiquants, avec ses codes, et sa gloire locale : Yakub Khan Afridi, un baron du trafic de drogue qui, dans les années 1980, aurait introduit clandestinement des centaines de tonnes de haschich et d’héroïne aux États-Unis et en Europe. « On rêve tous d’avoir une carrière comme la sienne, s’enorgueillit un habitant. Afridi, c’est notre Pablo Escobar à nous. »

Quelques minutes plus tard, une dizaine d’hommes s’approchent pour nous accueillir. Ils se présentent : il y a là le boucher, un comptable, un officier de sécurité du trafiquant – comme l’indique son fusil d’assaut M4. On s’assoit en silence.

Voici notre homme, emmitouflé dans un épais shawl beige, la soixantaine grisonnante et démarche empesée. En temps normal, le ganda mar trafique du textile, des cosmétiques, des pneus, des tapis, et si possible des diamants. Depuis peu, il donne aussi dans les sédatifs, antiseptiques, antibiotiques, anesthésiques et contraceptifs. Des curieux se rapprochent pour l’écouter. Il a commencé comme passeur à l’âge de 5 ans. À l’écouter, les enfants sont aujourd’hui chargés de passer les produits de petite taille, avec le risque d’être arrêtés et battus par les talibans. « Mon fils ne veut plus travailler à cause d’eux », se plaint-il.

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Women wait in the district hospital of Shindand, a district of Herat province, Afghanistan Des patientes dans un hôpital de Shindand, dans la province de Herat, en mai 2023. The Washington Post/Getty Images

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Counceling session in the mental health department of the main hospital of Herat in western Afghanistan Une patiente dans un hôpital de la province de Herat, en mai 2023. The Washington Post/Getty Images

Il faut plusieurs tasses de thé pour qu’il aborde le cœur du sujet. « Je m’étais juré de ne pas toucher au trafic de médicaments, explique-t-il, presque gêné. Mais la demande est trop forte… » Sa bande propose des ampoules, des injections, des implants, des tablettes et même des stérilets, fabriqués par des marques pakistanaises ou indiennes. Avec une marge faramineuse, cela va sans dire. En particulier sur les contraceptifs comme le Depo-Provera. « Il y a deux semaines, j’ai acheté pour 2000 dollars de marchandises, raconte-t-il. J’ai empoché pratiquement le double. » Ces six derniers mois, les prix des médicaments ont été multipliés par deux sur le marché noir.

Ce qu’il omet de préciser, c’est la médiocre qualité des produits. Certaines gélules sont périmées quand elles ne présentent pas un mauvais dosage. D’autres sont des contrefaçons. Sans compter l’absence de conditionnement, dans une région où les températures s’envolent en été. Tiens, Ashraf donnerait-il à sa femme ces pilules contraceptives ? « Bien sûr que non, me répond-il. Elle risquerait de ne plus jamais tomber enceinte. »

Fausse couche par overdose

Dans les rues afghanes, les discrètes opérations menées par les talibans les plus radicaux pour empêcher la vente de médicaments contraceptifs commencent à avoir des conséquences dramatiques. Quand cette jeune Afghane d’une trentaine d’années n’a plus trouvé de pilules dans les commerces de son quartier, elle a tenté d’en acheter sur le marché noir. Compte tenu des prix exorbitants, quelques mois plus tard, elle était enceinte. « Avorter a été la décision la plus douloureuse de ma vie, mais je refuse de donner naissance à un enfant dans ce monde », déplore-t-elle. Elle a réussi à récolter auprès de ses amies proches la somme de 20 000 afghanis (environ 300 euros) pour payer l’opération. « À la clinique, on m’a donné un médicament qui m’a fait saigner pendant vingt-quatre heures. J’avais très peur et je ne pouvais pas en parler à mon mari. J’étais seule. Le lendemain, je suis revenue pour en prendre un deuxième. Ça m’a traumatisée. » En Afghanistan, l’avortement n’est autorisé qu’en cas de danger pour la santé de la mère. Dans la majeure partie des cas, il se pratique dans des cliniques clandestines.

Quand les femmes n’ont pas les moyens, elles tentent de régler la question elles-mêmes. Et le marché noir regorge de pilules abortives. Utilisés lors d’une interruption médicamenteuse de grossesse, 800 microgrammes de misoprostol, une substance synthétique de la prostaglandine, suffisent pour déclencher des contractions provoquant le détachement de l’embryon des parois utérines. Mais souvent, les femmes ne lisent pas les conditions d’utilisation ou achètent des médicaments de contrefaçon sans même le savoir.

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A woman wait for a counceling session in the mental health department of the main hospital of Herat in western Afghanistan Une patiente dans un hôpital de la province de Herat, en mai 2023. The Washington Post/Getty Images

Nesa est sage-femme à Kaboul. « Se rendre dans une clinique clandestine pour avorter, c’est risquer de se faire dénoncer ; mais un auto-avortement peut être mortel », prévient-elle. En 2022, elle recevait une femme par semaine. Aujourd’hui, c’est près du double. Souvent, elle tente de réparer les corps mutilés de ses patientes. Comme cette jeune femme qui pensait se déclencher une fausse couche en avalant 28 cachets d’un coup. Après cette tentative ratée, elle a acheté des médicaments abortifs en cachette. « Je ne sais pas ce qu’elle a pris, mais elle perdait du poids, avait des vomissements et beaucoup de fièvre, décrit Nesa. Elle se vidait de son sang depuis des semaines. En fait, le fœtus était mort et n’avait pas été expulsé de son corps. » La jeune fille ne savait pas qu’il fallait prendre un second médicament pour l’évacuer. « Je doute qu’elle puisse avoir un enfant un jour, se désole la sage-femme. Son système utérin est détruit. Elle n’a que 19 ans. »

Un rapport de l’UNFPA (Fonds des Nations unies pour la population) daté du 1er février 2023 révèle que l’Afghanistan a l’un des taux de mortalité maternelle le plus élevé au monde, avec 620 décès lors de l’accouchement pour 100 000 mères en 2020. Et la statistique ne compte pas les victimes d’avortements clandestins. « Les Afghanes meurent ou sont obligées de se torturer elles-mêmes », se désole Nesa. Une catastrophe humanitaire se dessine. Des mois après ma conversation avec Ayesha, la mère de famille de Mazâr-e-Charîf, je ne sais toujours pas si elle a réussi à se procurer une tablette de contraceptifs. Elle a brutalement raccroché (son mari l’avait-il surprise ?) et n’a plus répondu à mes nombreux appels.

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Promo 2023 : de gauche à droite, Maryna Dyndo, Imran Arrow, Fatima-Alzahraa Alsheikh, Isabelle Delorme (responsable du programme) et Hossnia Mohsini.

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