Mais pourquoi la France est-elle toujours accro à « Naruto » ?

Mais pourquoi la France est-elle toujours accro à « Naruto » ?

Dix ans. Pour les enfants des années 1980 et 1990, le nombre a de quoi donner un coup de vieux, mais le dernier tome de Naruto a bel et bien été publié en version originale voici une décennie (au Japon donc). Si la série est terminée, la flamme est savamment entretenue par la passion des lecteurs et le marketing des ayants droit. L’éditeur français Kana a ainsi annoncé jeudi 11 avril une nouvelle extrêmement rare attestant de l’importance du marché français : l’auteur Masashi Kishimoto viendra dans l’Hexagone les 24 et 25 août.

Même pour les profanes de la bande dessinée japonaise, il est impossible de ne pas apercevoir la bouille du jeune ninja blond en librairie, à la télévision, « graphé » sur un mur ou bien, prochainement, lors de la course Adidas 10 kilomètres de Paris, à laquelle la licence s’associe fin mai. Phénomène littéraire des années 2000, cette saga contant l’histoire d’un jeune orphelin ? Naruto, donc ? rejeté par le village ninja de Konoha est devenue un classique du manga.

Culte, Naruto l’est encore davantage en France qu’au pays d’Osamu Tezuka. Au Japon, cet incontournable dessiné par Masashi Kishimoto est une grande ?uvre parmi tout un panel d’autres titres mythiques. En France, Naruto est bien plus que cela et ce lien très précieux justifie le passage express du mangaka en nos contrées.

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Sur le marché français, la saga Naruto a longtemps été l’un des plus importants best-sellers de la BD. En 2008, le top 50 des titres les plus vendus en France comprend neuf tomes de la franchise et, jusqu’à aujourd’hui, l’?uvre s’est écoulée à 31 millions d’exemplaires dans les pays francophones. Un tsunami venu de loin et pourtant très français. « Pendant près de dix ans, Naruto a été le manga le plus vendu en France, alors qu’il n’a jamais été numéro un au Japon, son pays d’origine », explique avec satisfaction Christel Hoolans, directrice générale des éditions Kana, qui distribuent la licence dans l’Hexagone « C’est vraiment une exception culturelle française. »

La poule aux ?ufs d’or

L’auteur de emNaruto/em en France au mois d’août ! © Kana

L’auteur de Naruto en France au mois d’août ! © KanaLogiquement, les équipes de Kana ont été prises de « panique » le jour où l’éditeur japonais leur a annoncé la fin prochaine de cette poule aux ?ufs d’or. Plus de peur que de mal : l’histoire du ninja le plus célèbre du monde continue d’être un hit après la publication en France de son soixante-douzième et dernier tome en 2016, deux ans après le Japon.

À LIRE AUSSI Grâce à « Astérix » et « Naruto », la BD talonne la littérature généralePreuve d’un engouement qui ne faiblit pas (porté, il est vrai, par un réassort des trois premiers tomes de Naruto à 3 euros pièce pour continuer de faire vivre la saga) : le premier tome s’écoulait à 1 500 exemplaires par semaine en 2019 ; l’année suivante, il est numéro un des ventes en France et, en 2023, les ventes hebdomadaires atteignent les 4 000 copies : « C’est un peu étonnant. Une série finie, c’était souvent une série morte. Naruto, lui, est resté une valeur sûre », confirme Christel Hoolans.

Épanouissement dans les années 2000

Rembobinons. Quand ce chef-d’?uvre du prestigieux magazine de prépublication Weekly Shonen Jump arrive en France en 2002, le shonen (manga pour adolescents) Masashi Kishimoto a déjà l’allure d’un probable phénomène générationnel : « Il est rapidement devenu un objet de discussion dans les cours de récréation », explique Pauline Croquet, journaliste au Monde et autrice de Naruto : les arcanes de Konoha. « L’engouement va au-delà du monde physique. Naruto est l’un des premiers mastodontes de la bande dessinée japonaise de la vague Internet. Ce medium accentue la renommée du manga, qui est alors portée par une communauté de mordus se retrouvant sur les forums, réinventant le lore [jargon angliciste de fans désignant l’univers propre au sujet, NDLR], à travers des fan fictions et découvrant les nouveaux chapitres grâce à leur numérisation quasi instantanée sur la Toile.

Contrairement à Dragon Ball, la notoriété de Naruto repose initialement assez peu sur la série animée : « Naruto s’est lancé à une époque où la télévision était frileuse dans ses choix de programmation, là où les plateformes de streaming ont, par la suite, beaucoup aidé à faire vivre le manga », complète Christel Hoolans. Et alors que la saga d’Akira Toriyama représentait la première incursion massive du manga en France, son petit frère devient l’un des symboles de l’enracinement profond de ce phénomène culturel. Les années 2000 font la part belle aux « Big Three », ce trio composé des ?uvres Naruto-One Piece-Bleach qui domine outrageusement le marché à une époque où les ventes des magazines de prépublication de manga diminuent.

Naruto © NARUTO © 1999 BY MASASHI KISHIMOTO / SHUEISHA INC.

Naruto © NARUTO © 1999 BY MASASHI KISHIMOTO / SHUEISHA INC.Avec la parution de son soixante-douzième tome en 2014, Naruto aurait pu tomber en disgrâce tant la fin ne laisse pas un souvenir impérissable à tous les fans. Une partie d’entre eux fut perturbée par l’apparition surprise de nouveaux antagonistes dans l’ultime arc narratif et le fit savoir. Qu’importent les critiques : l’univers de Masashi Kishimoto s’étend malgré la fin de la saga initiale. Mais contrairement à Dragon Ball, qui étire les prouesses de San Goku dans le temps, Naruto se renouvelle avec Boruto, un titre centré sur le fils de l’intrépide aventurier blond.

Après un lancement qui « ne suscitait pas une grande curiosité », Christel Hoolans et les éditions Kana ont craint que cette série dérivée ne trouve pas son public. Finalement, Boruto s’est imposé comme un titre vendeur, sans pour autant tutoyer les sommets de la licence. À ce jour, l’éditeur révèle avoir vendu 2 155 000 exemplaires de cette suite, un bon chiffre pour une saga vendue depuis seulement sept ans. Un temps en retrait sur le projet, Masashi Kishimoto a d’ailleurs fini par s’investir pleinement dans Boruto après le lancement raté d’une nouvelle série. Seul bémol pour les aficionados de cet univers : avec ce spin-off, le rythme de parution est passé d’hebdomadaire à mensuel.

Des mois de négociation avec le Japon

La place de choix de Naruto au sein de la pop culture doit justement beaucoup au génie de son auteur. « Les dessins de Masashi Kishimoto sont fabuleux et plus sérieux qu’une partie des shonens de l’époque, fait valoir Pauline Croquet. « L’auteur fait aussi vieillir les héros de son ?uvre à mesure que son lectorat grandit, ce qui accentue le phénomène d’identification. » Et il y en a pour tous les goûts. D’un Rock Lee exemple de persévérance à un Gaara figure de rédemption, Masashi Kishimoto façonne en quinze ans une riche palette de personnages complexes. Les enjeux sont également profonds. Dans Naruto, il est question de solitude, de géopolitique, d’amitié ou encore de pardon. La grande force de l’?uvre est aussi d’offrir de l’action dès les premiers tomes. Le ninja le plus célèbre du monde et ses amis rencontrent très vite des adversaires coriaces et psychologiquement étoffés, qu’ils recroiseront au fur et à mesure de leurs aventures.

Boruto © NARUTO © 1999 BY MASASHI KISHIMOTO / SHUEISHA INC.

Boruto © NARUTO © 1999 BY MASASHI KISHIMOTO / SHUEISHA INC.

En France, son éditeur Kana s’est plié en quatre pour soigner les ventes de son poulain : il a par exemple devancé le Japon en 2022 avec la sortie d’une version deluxe, avant même qu’elle n’existe dans le pays d’origine. Cette édition augmentée avec pages en couleur, prévue en 36 tomes, permet aux anciens lecteurs de retrouver les ninjas de Konoha dans une version de collection. Une façon d’entretenir la flamme. « On travaille énormément autour de cette licence, affirme Christel Hoolans. « Et cela demande beaucoup de temps puisque toutes les opérations commerciales doivent être approuvées par le Japon. Rien que l’offre des premiers tomes à 3 euros, cela représente deux à trois ans de négociations ! »

À LIRE AUSSI Le célèbre manga « Naruto » bientôt au cinéma ? Mais Kana a un atout dans sa manche : la maison d’édition n’est pas seulement l’éditeur, mais aussi l’agent de la licence dans toute l’Europe. Ce montage rarissime lui permet de gérer le merchandising du manga, avec l’accord de l’éditeur japonais. Cet accord nourrit l’engouement autour du héros. Car si l’univers de Naruto est encore vivace aujourd’hui, c’est aussi parce qu’il est devenu une licence omniprésente s’affichant sur les tee-shirts de la firme de prêt-à-porter Celio, sur les visages des Playmobil ou prenant vie dans le jeu de tir Fortnite. Cette omniprésence n’est pas seulement un détail commercial, elle est aussi la marque des licences cultes.