Elections européennes : les grandes craintes de la Macronie

Elections européennes : les grandes craintes de la Macronie

C’est le paradoxe du printemps 2024. Le plus européen des dirigeants du Vieux Continent est en passe de perdre les élections européennes. Alors que, estime Emmanuel Macron, les événements de ces dernières années ont validé sa vision d’une Union qui devait recouvrer sa puissance économique, industrielle, politique, et s’affirmer face à la Chine ou aux Etats-Unis.

Sans parler de cette double menace qui sévit désormais : la Russie, puissance impérialiste et nucléaire, qui mène la guerre à ses frontières et les nationalistes qui ont le vent en poupe dans de nombreux pays européens et rêvent de la paralyser de l’intérieur.

«Â Notre Europe est mortelle », a averti, solennel, le président dans son discours de la Sorbonne le 25 avril, listant avec sérieux les défis à relever – réarmement militaire, intelligence artificielle, énergies décarbonées – pour faire « puissance ».

Et pourtant : tout visionnaire que ce président ait pu être, la liste de sa candidate Valérie Hayer est largement distancée dans les sondages par le frontiste Bardella à cinq semaines du scrutin européen, à tel point qu’en macronie plus personne ne croit vraiment qu’une victoire est encore possible. « En 2019, à la même période, il y avait aussi presque dix points d’écart, on avait fini à touche-touche », rappelle une ministre qui trouve aussi des motifs de satisfaction dans les débuts pourtant difficiles de la tête de liste macroniste : « ­Valérie aurait pu s’effondrer, elle se maintient et elle a tout de suite été prise au sérieux.  » Mais l’ambition n’est plus de vaincre, juste de réduire l’écart, de limiter la casse et les conséquences politiques au Parlement européen autant que sur la scène politique nationale.

Faible mobilisation des électeurs macronistes

Comment expliquer que le président se retrouve dans une posture si délicate ? Peut-il échapper au « référendum anti-Macron » qu’installe le Rassemblement national ? Son impopularité pèse. Même ses ministres le reconnaissent, qui préfèrent parler d’« usure » : « Cela fait sept ans qu’on est à la manœuvre, c’est inexorable, dit un membre du gouvernement. La dernière fois, les gens n’étaient pas plus européens qu’aujourd’hui mais nous, on était neufs. » Dans le camp du président, on pointe surtout la faible mobilisation pour l’instant des électeurs macronistes qui l’avaient soutenu aux européennes de 2019 ou à la dernière présidentielle.

C’est aussi pour les ramener aux urnes et conjurer ce risque d’abstention que le chef de l’Etat dramatise le moment. Et mise gros sur les cérémonies des 80 ans du Débarquement le 6 juin, à la veille du scrutin. « Il peut y avoir un effet drapeau, une mobilisation de notre électorat âgé, qui se dit vraiment : l’Europe peut mourir, on va y aller », espère un stratège de la campagne. Autre écueil pour la majorité : comment concilier la révolte agricole qui a secoué le pays et l’ambition écologique affichée ? Faut-il ou pas défendre le Green Deal, ce Pacte vert dont le macroniste Pascal Canfin a été l’un des artisans à la tête de la Commission Environnement ? Sa présence en bonne place sur la liste, afin de traduire cet engagement, fait débat.

D’autant que la donne a changé. Le vent souffle encore plus dans les voiles des populistes, qui ont modifié leur discours avec l’air du temps. Plus question de sortir de l’euro ou de l’UE dont les citoyens ont pu apprécier l’effet protecteur pendant la crise du Covid. Jordan Bardella et les siens préconisent un « oui mais » : « On ne propose plus de sortir de l’immeuble mais de ne pas respecter les règles de copropriété », a ironisé le président.

Glucksmann séduit, le gouvernement Attal déçoit

Pour ne rien arranger, Emmanuel Macron l’européen se voit contesté, sur sa gauche, par un autre champion de l’Europe : Raphaël Glucksmann, à la tête de la liste PS-Place publique, séduit un électorat macroniste déçu par la dérive droitière de la loi immigration ou du gouvernement de Gabriel Attal.

Dans les allées du pouvoir, personne ne s’aventure à pronostiquer les conséquences nationales d’un lourd revers le 9 juin. Certes, le passé a montré que le résultat des européennes ne prédit pas celui de la présidentielle, mais chacun se perd en conjectures, avec un paysage politique bouleversé : Gabriel Attal, nommé en début d’année pour contrer l’effet Bardella, sera-t-il une victime expiatoire du scrutin européen ? Jusqu’ici le Premier ministre s’est plutôt fait discret dans la campagne. Mais comment pourra-t-il trouver demain des majorités à l’Assemblée en étant encore plus affaibli ? Et éviter, lors du grand débat budgétaire de l’automne, la motion de censure que LR, le RN et la gauche se disent prêts à voter ?

Pourquoi Raphaël Glucksmann affole ses rivaux

La macronie devra aussi gérer l’inévitable guerre de succession qui s’ouvrira après le 9 juin. Les ambitions risquent de se dévoiler. L’étoile montante des sondages, Gabriel Attal, devra prendre sa part de la défaite. Discret, Edouard Philippe pourrait donc apparaître le mieux placé pour tenter de récupérer l’héritage tout en ralliant une partie de la droite, elle aussi bien mal partie dans la campagne des européennes. A gauche, ce scrutin peut bouleverser la hiérarchie : la social-­démocratie portée par Raphaël Glucksmann reprend des couleurs alors que les Verts, en position délicate, et Mélenchon, isolé par sa campagne centrée sur la question palestinienne, perdent du terrain. Une chose est sûre : la désignation d’un candidat commun en vue de 2027 devrait demeurer très problématique. En clivant l’opinion pour mieux consolider sa base électorale, Jean-Luc Mélenchon s’emploie déjà à la rendre impossible.

Si elle se solde par une large victoire de la liste RN, cette élection intermédiaire risque surtout d’apparaître comme un tremplin vers l’Elysée en 2027. Les sondages donnent déjà Marine Le Pen triomphante au second tour face à Gabriel Attal ou Edouard Philippe. Empêché par la Constitution de se représenter, Emmanuel Macron livre là sa dernière bataille électorale. A ses visiteurs, il répète qu’il fera tout pour empêcher que le parti lepéniste s’empare du pouvoir. En a-t-il encore les moyens ?