François Hollande : « Inspirons-nous du courage de Robert Badinter »

François Hollande : « Inspirons-nous du courage de Robert Badinter »

Nous sommes tous des héritiers de Robert Badinter. Jusqu’à son dernier souffle, il s’est engagé pour le droit, la démocratie et les libertés. En menant ces combats, il a fièrement incarné les avancées que notre société a su accomplir pendant ces cinquante dernières années. Il a arpenté un long chemin qui est allé de l’élargissement des démocraties avec la chute des dictatures en Europe et l’effondrement de l’Union soviétique, jusqu’à la construction d’un Etat de droit à l’échelle internationale et à la modernisation de nos institutions. Il a pris la tête avec d’autres d’un vaste mouvement qui a approfondi les libertés publiques et étendu les libertés privées.

Robert Badinter, une vie de justice

Il était néanmoins lucide sur la fragilité de cet édifice car, comme souvent dans l’Histoire, après une phase de conquêtes et de primauté du droit s’ouvre une période plus critique et plus brutale. Il savait que l’attaque terroriste du 11 septembre 2001 contre le World Trade Center allait faire chavirer les certitudes et que l’intervention américaine en Irak ébranlerait le droit international. Aujourd’hui, la résurgence de la guerre à l’est de l’Europe comme au Proche-Orient, loin d’appeler à une prise de conscience face au retour de la force brutale, génère des peurs qui incitent au repli et à la défiance.

D’autant que le contexte politique s’est obscurci. Aux Etats-Unis, la perspective d’un retour de Donald Trump à la Maison-Blanche inquiète légitimement les femmes et les minorités. Partout, l’immigration devient le bouc émissaire des difficultés sociales et le thème majeur des populistes. En France, si la loi sur le mariage pour tous a fini par vaincre les préjugés, le temps est à la prudence voire au conservatisme et l’extrême droite s’installe insensiblement comme une alternative.

Cette régression n’est pas fatale. Tout dépend toujours de nous. Tel est le message de Robert Badinter. Son parcours l’atteste. Son engagement le traduit. Avocat, il avait fait de l’abolition de la peine de mort sa cause. Une cause qu’il a su porter par l’éloquence de ses plaidoiries mais qu’il a su mener à bien dans le cadre d’une démarche politique autour de François Mitterrand et du Parti socialiste. Sans la victoire de mai 1981, l’abolition aurait été sans doute reportée à bien plus tard. Comme la dépénalisation de l’homosexualité ! Il n’est pas de lutte, aussi étincelante soit-elle, qui n’ait besoin, pour être accomplie, d’une consécration électorale.

Robert Badinter, une empreinte qui marquera à jamais le monde judiciaire

Robert Badinter n’était pas un pur esprit, il revendiquait le pouvoir, il n’était pas davantage un idéaliste convaincu de la bonté de l’être humain. Par le drame qu’avait connu sa famille victime de la Shoah, Robert Badinter était conscient du caractère tragique de l’Histoire. Il savait que la dignité humaine ne tient qu’au respect du droit et que, même dans les sociétés évoluées, le pire demeure possible et que la haine rôde chaque fois que la raison s’efface. Il pensait que les démocraties étaient fragiles, vulnérables, perméables même, dès lors que les résistances lâchent. Il mettait son talent, qui était immense, au service de la défense des valeurs universelles. Pour lui, elles n’appartenaient à aucun parti, aucun continent, aucune civilisation. Elles étaient le bien commun de l’Humanité.

Président de la République, j’eus plusieurs occasions de m’entretenir avec lui aussi discrètement qu’amicalement. Avec les attentats qui frappaient notre pays, il était attentif à l’équilibre des lois adoptées pour lutter contre le terrorisme. A ses yeux, faire reculer l’Etat de droit, c’était offrir une victoire aux terroristes, c’est-à-dire aux ennemis de la liberté.

> Notre dossier spécial consacré à la mort de Robert Badinter

Cette position éthique n’impliquait pas la moindre mansuétude pour les assassins. C’était aussi au nom du droit qu’il entendait poursuivre les criminels de guerre. Après l’emploi d’armes chimiques par Bachar al-Assad ou, plus récemment, après l’agression de l’Ukraine par Vladimir Poutine, Robert Badinter s’était mis au travail pour dresser les actes d’accusation afin de les traduire devant la Cour pénale internationale.

Robert Badinter, comme Léon Blum dont il aurait souhaité l’entrée au Panthéon, fut longtemps la cible de l’extrême droite. A-t-elle jamais vraiment accepté l’abolition ? Il fut, comme garde des Sceaux, traité d’« assassin » par des courants factieux. Avec le temps, l’animosité dont il avait été l’objet avait reculé et l’admiration qu’il suscitait avait fini par l’emporter. Inspirons-nous du courage de Robert Badinter pour démocratiquement combattre les idées funestes qui n’en finissent pas d’embrumer les esprits au risque d’interrompre le processus de la République dont il fut l’une des plus éminentes figures. Il n’est d’héritage que dans la fidélité.