FIGAROVOX/TRIBUNE – Au-delà des questions budgétaires, la crise des Ehpad est la résultante d’une conception anthropologique de la vieillesse, estime Vincent You. Selon ce directeur de maisons de retraite, il est urgent de redonner un rôle aux séniors dans la société.

Vincent You est adjoint au Maire d’Angoulême, directeur d’hôpital et de maisons de retraite.
Et revoilà la crise des «Ehpads». De livres en livres, de menaces d’enquête en rapports officiels, on continue à montrer les rationnements, on dénonce l’indécence, on exige de nouveaux ratios de personnel et, fait nouveau, de la vidéosurveillance dans les chambres pour éviter de nouveaux scandales !
Au cœur d’une campagne présidentielle, on n’en sortira pas avec un nouveau rapport. Tout est dit et écrit. Les questions des effectifs et des contrôles sont désormais incontournables. Les réponses sur ces points ne sauraient manquer comme ne peuvent suffire.
Il y a quatre grandes questions taboues qui devraient donner lieu à un vrai débat de société.
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Jusqu’alors, lutter contre la dépendance consistait à maintenir l’autonomie. Est-ce si sûr ? Et si c’était l’inverse ? Et si lutter contre la dépendance c’était justement reconnaître et montrer que l’être humain est un être dépendant ? Qu’il vit en dépendant des autres et que son drame est justement de ne plus savoir laisser de place à cette connexion nécessaire qui fait vivre. L’adolescent indépendant créé ses règles et poussent les limites, ses grands-parents connaissent leurs limites et se reconnaissent dépendants aux liens qui les font vivre. Ce qu’ils cherchent n’est pas une jouissance sans entrave. Nos anciens souffrent d’un isolement sans limite. Une mise à l’écart derrière le chacun chez soi. Une violence solitaire qui fragilise à petits feux. À force de ne vouloir dépendre de rien ni de personne, notre société referme ses portes après avoir déposé un repas individuel sur le perron.
Il faut faire le bon diagnostic. La mise à l’écart n’est pas en soi un manque d’autonomie, c’est surtout un manque de communauté. C’est d’être isolé qui provoque les premières fragilités. C’est d’être coupé des autres qui provoque le manque d’activités. La question première est de voir que notre société individualiste est une société de bien portants mobiles. La première réponse politique doit donc viser à remettre nos aînés dans la communauté humaine et non en marge d’une société qui ne regarde que la performance.
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On luttera contre la dépendance en recréant la communauté, en acceptant de sortir du dogme de l’homo economicus qui fait ses choix rationnels pour son seul bonheur individuel. La vieillesse ne nous appelle pas à lutter pour leur indépendance mais à nous reconnaître dépendants les uns des autres. Retrouver cette sociabilité qui fait vivre des êtres fragiles, cette sagesse qui reconnaît que chacun donne autant qu’il reçoit. La vraie prévention de la dépendance, c’est de recréer ce lien communautaire qui met chacun en situation de pouvoir donner et recevoir. La question aux politiques n’est donc pas de veiller à prolonger des solitudes juxtaposées mais autonomes. Il s’agit de savoir si l’on souhaite continuer à être (ou redevenir) une communauté nationale et/ou locale. Il faut donc répondre politiquement à cette question : quel rôle donner à nos aînés dans notre pays, comme dans nos villes et villages ?
Aujourd’hui, rentrer en Ehpad c’est quitter la cité. On perd ses voisins pour se trouver dans un lieu nouveau avec des visages inconnus. Il faut donc à la fois «remettre la maison de retraite au milieu du village» et faire venir les habitants du village dans ladite maison de retraite car c’est là qu’on y trouvera une belle exposition, un repas quotidien ouvert à tous, des activités nombreuses et le croisement de toutes les générations. Les choix de lieux doivent permettre ce choix de la vie.
Tout porte à croire que la multiplication des propositions est nécessaire : accueil de jour, colocations de seniors ou multigénérationnelles, équipe mobile qui casse les effets de rupture entre domicile et établissement. Cesser le scandale des Ehpads, c’est d’abord mettre fin au mot pour retrouver la chaleur d’une maison où chacun peut trouver sa place. Pourquoi donc faire vivre à l’écart une génération particulière ? Il est urgent de décloisonner les politiques publiques pour reconstruire une amitié sociale qui n’oublie pas ses anciens.
Lorsqu’arrive le moment de faire son domicile en maison de retraite, il est nécessaire de maintenir dans ce nouveau lieu de vie les échanges qui font de chacun un citoyen unique et irremplaçable. La vie commune n’est pas la juxtaposition d’individus qui consomment gîte et couverts. Ni des clients qui paient pour des prestations. Redonner sa citoyenneté à chaque habitant de la maison, c’est d’abord cesser de le voir par sa dépendance. Changer de regard pour échapper à la logique des GIR, les «Groupes Iso-Ressources» que l’on demande aux infirmières de mesurer pour pouvoir optimiser les recettes de l’établissement. Plus on perd de capacités, plus on augmente les recettes de l’institution. Non un paiement à l’acte mais une recette pour chaque baisse de palier : chaque diminution rapporte.
Changer de regard, c’est donc voir l’homme et la femme dans leurs histoires personnelles, chercher les capacités qui sont encore présentes pour les soutenir et permettre de donner un rôle social à chaque personne. Celui qui peut marcher pourra être le facteur qui distribuera le courrier du jour, celle qui aime lire pourra en faire profiter ses voisins, tandis que d’autres peuvent cuisiner, jardiner, jouer de la musique, tous ces gestes qui agrémentent la vie commune. Ces rôles sociaux font que chacun peut donner aux autres le fruit de sa participation à la petite société qui se recrée dans la maison. On oublie trop souvent que le corps a une mémoire. Malgré les troubles cognitifs, ces gestes demeurent, pour peu que l’on sache les faire revenir en les ritualisant et en leur laissant le temps nécessaire. Pour ce faire, les outils sont en place, grâce aux méthodes centrées sur la personne (Méthode Montessori adaptée aux personnes âgées, Carpe Diem…) et aux interventions non médicamenteuses (INM) déjà reconnues mais souvent laissées comme optionnelles ou considérées comme marginales. Il faut donc commencer par décider de changer de regard.
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Au-delà du nombre et de la juste question des effectifs, c’est la redécouverte du sens du travail qui est l’étape essentielle. Travailler auprès de nos aînés ne doit plus être considéré comme prendre un poste dans la chaîne d’une industrie du nursing. Accompagner la vie et ses fragilités ne doit plus être «compter les toilettes». L’unité de mesure ne doit plus être le fameux TMC (Tête-Mains-Cul) qu’il conviendrait d’additionner dans un temps contraint. Il faut laisser place à la personne pour lui laisser sa part. Considérer le rôle de l’équipe comme subsidiaire, au sens de la consigne de Maria Montessori «Aide moi à faire seul». C’est aussi un enjeu d’équipe pour fixer ensemble une exigence collective qui passe par un projet de management, une attention au dialogue entre pairs, une volonté de réinterroger chaque année les pratiques pour les reprendre et les améliorer.
Qu’attendre de nos candidats ? Non pas seulement des formules et la promesse de dispositifs technocratiques. Au-delà des règles et enjeux spécifiques des secteurs publics et privés, nous attendons qu’ils portent l’ambition de recréer cette commune humanité due à nos aînés et à nous-mêmes. Une communauté digne qui ne pourra jamais devenir une industrie ou un centre de profits.
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