Don alimentaire : Les associations servent-elles de poubelles à la grande distribution ?

Des bénévoles s’alarment de la baisse des dons de produits frais accordés par les supermarchés dans un contexte d’inflation

Enquête 2/4 – Des bénévoles s’alarment de la baisse des dons de produits frais accordés par les supermarchés dans un contexte d’inflation

La ramasse du matin n’est pas exceptionnelle. En cette matinée de janvier, les bénévoles de cette épicerie solidaire de Rennes sont à pied d’œuvre pour trier les denrées données par les supermarchés du coin. Ces produits souvent en date courte voire très courte sont destinés à être distribués aux plus fragiles dans l’incapacité de remplir leur frigo.

Le problème, c’est que la « sélection » n’est pas vraiment un exemple d’équilibre ce matin-là et fait exploser la lettre du Nutri-Score à coups de canettes de sodas et de chips saveur bolognaise. « On a souvent des sandwichs triangle ou des salades. On nous donne même des pâtisseries que l’on n’a pas le droit de redistribuer », témoigne cette jeune bénévole en sortant quelques fruits et légumes bien abîmés d’un carton.

Dans son « don » du jour, le supermarché avec qui l’association est conventionnée semble s’être un peu « débarrassé ». On y trouve pêle-mêle des bouquets de roses flétries, des vieilles pommes fripées et des demi-salades vertes éparpillées. Il y a bien de la viande mais elle est à manger le jour même. Et soyons honnêtes, les côtes d’agneau font un peu peur à voir et on ne se risquerait pas à les manger. « On a parfois l’impression d’être des mendiants. Ce n’est pas correct. On l’a déjà signalé, mais ça continue », explique la jeune femme chargée de collecter les denrées.

Des belles choses sur le dessus du panier…

Cette épicerie solidaire n’est pas la seule à se plaindre de la qualité des dons. Stella a déjà constaté des aberrations lorsque son association d’aides aux étudiants traitait avec un hypermarché d’Ille-et-Vilaine. « On faisait une demi-heure de route et quand on arrivait, parfois il n’y avait presque rien. Une fois, on n’avait récupéré que des chewing-gums ». Le contrat a été rompu. « On nous met des belles choses sur le dessus du colis et dessous, on trouve des fruits pourris. Des fois, on nous a même donné de la bouffe pour chat. On essaye de sauver au maximum mais on ne peut pas tout faire », regrette Lou-Anne, étudiante bénévole.

don alimentaire : les associations servent-elles de poubelles à la grande distribution ?

Dans les épiceries étudiantes, les dons des supermarchés ne sont pas toujours un exemple de diététique. Ce jour-là, des sodas et des chips avaient été donnés en quantité. – C. Allain/20 Minutes

Les « petites épiceries » seraient-elles maltraitées ? Pas plus que les grosses structures historiques. « La ramasse est devenue catastrophique », concède Joël en déchargeant le camion du Secours populaire d’Ille-et-Vilaine. Ce matin, son équipe a collecté quelques paquets d’emmental râpé, du jambon blanc, de la brioche tranchée et des gâteaux pour le goûter auprès d’un supermarché drive. Elle doit surtout embarquer un immense stock d’œufs Kinder série limitée Harry Potter à manger avant la fin février. « Ça fera plaisir aux enfants mais ce n’est pas vraiment nourrissant », soupire Loïc, le chauffeur.

Le gros coup de gueule d’un bénévole

Ce constat de baisse de dons n’est évidemment pas propre à la Bretagne. En décembre, un bénévole de l’association Notre-Dame des Sans-Abri de Lyon a publié un coup de gueule devenu très viral sur le réseau LinkedIn. « On a beau être pauvre, c’est pas pour autant qu’on mange de la salade sous plastique et du pain de mie à chaque repas. C’est nous qui gérons les poubelles de Mr/Mme Franprix », taclait ce bénévole, agacé d’avoir dû balancer une grande partie des huit caisses de denrées déposées par ce supermarché du deuxième arrondissement. « C’est surtout depuis le Covid. On n’a plus grand-chose à donner en produits frais », regrette Joël, bénévole au Secours populaire. « Il y a quelques années, tout ça était rempli », raconte Elisabeth, désabusée, en montrant les étagères à moitié vides derrière elle.

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« Il y a quelques années, tout ça était rempli », raconte Elisabeth, bénévole au Secours populaire. – C. Allain/20 Minutes

Sur le terrain, les associations doivent faire face au turnover souvent important de la grande distribution. « Dans certains magasins, on ne voit jamais la même personne. Comment voulez-vous que l’on puisse lui faire remonter quoi que ce soit ? », s’interroge Lou-Anne, bénévole. La jeune femme reconnaît que partout où un référent formé est en poste, la ramasse est de qualité. Le responsable de l’association Notre-Dame des Sans-Abri de Lyon, Alain Monteillard, est un peu plus mesuré que le bénévole auteur du coup de gueule et tempère. « Oui, ça arrive qu’on ait des produits vraiment abîmés mais ça reste marginal. Il y a quelques supermarchés que l’on connaît, ce sont souvent les mêmes. Mais ce n’est pas tous les jours, bien heureusement. Notre problème, c’est plutôt de gérer les dates de péremption », réagit-il.

Michelle raconte quant à elle « les aberrations » qu’elle constate depuis des années en tant que bénévole au Secours populaire. « Qu’un magasin se rate sur une commande, ça peut arriver. Mais comment expliquer que les mêmes produits nous reviennent toujours ? Ça veut dire qu’ils ne se vendent pas. On se retrouve avec des quantités énormes de yaourts au soja dont personne ne veut. C’est une aberration car les supermarchés se débarrassent auprès de nous et en plus ils défiscalisent. Après, c’est à nous de jeter et c’est nous, les bénévoles, qui culpabilisons ».

Depuis 2016 et l’adoption de la loi dite Garot, les enseignes de plus de 400 m² doivent obligatoirement passer convention avec une association pour évacuer leurs invendus, qu’ils ont désormais interdiction de jeter à la poubelle. C’est là que la fameuse « défiscalisation » évoquée par Michelle entre en jeu. Pour inciter les supermarchés à donner, la loi prévoit qu’ils puissent défiscaliser 60 % de la valeur des produits donnés, dans la limite de 20.000 euros par an ou de 0,5 % du chiffre d’affaires. « Cette mesure a permis d’augmenter nettement les volumes de dons de la part des enseignes de la grande distribution. C’était l’objectif. Avant la loi, on voyait de la nourriture jetée à la poubelle. C’est une pratique qui a très largement reculé. Il doit bien y avoir des contrevenants mais nous avons réussi à réduire considérablement le gaspillage. Pour moi, l’argument fiscal est toujours légitime », défend Guillaume Garot. L’ancien ministre de l’Agroalimentaire à l’origine de la loi reconnaît cependant que « certains magasins ne se gênent pas pour benner leurs invendus aux associations, en leur laissant la charge de faire le tri. C’est scandaleux et c’est un véritable manque de respect pour les bénévoles ».

S’ils sont marginaux, ces comportements demeurent, même huit ans après l’adoption de la loi. C’est pour tenter d’y mettre un terme que la société Phénix s’est lancée. Créée en 2014, la start-up française sert d’intermédiaire entre une grande distribution parfois paumée et des associations pas toujours bien armées. « La grande distribution est un coupable facile. Alors, oui, il y a quelques mauvaises pratiques isolées. C’est notre métier justement, de faire le lien entre deux mondes qui ne se parlaient pas, de professionnaliser le don pour limiter le gaspillage. Notre plateforme, c’est un peu comme un Meetic des invendus, pas une société de capitalisation du don », détaille Jean Moreau. En pleine croissance, la start-up travaille actuellement avec 1.500 des 20.000 points de vente que compte la France.

Mais même avec Phénix, tout est loin d’être parfait, notamment en raison du manque de formation des personnels. Dans une enquête publiée en fin d’année, l’agence de la transition écologique (l’Ademe) alertait l’opinion sur ce phénomène, annonçant que 16 % des denrées collectées étaient directement jetées au sein des vingt structures qu’elle avait sondées. « La faute est partagée mais il est certain qu’en formant mieux le personnel pour donner ce qui peut être récupéré dans de bonnes conditions peut faire la différence », explique l’établissement public sous tutelle du ministère de la Transition écologique. Tous les bénévoles vous diront qu’ils doivent régulièrement balancer des fruits complètement pourris ou des légumes moisis. D’après Phénix, les supermarchés avec qui elle est conventionnée voient ce taux de perte tomber à 7 % en moyenne, notamment grâce à la formation des personnels et à l’évaluation des supermarchés.

C’est la faute aux rayons antigaspi !

Au-delà du simple gaspillage, c’est surtout la baisse continue de la quantité de nourriture donnée par les super et hypermarchés qui fait peur aux associations. Depuis quelques années, les caisses qu’elles ont l’habitude de récupérer sont de moins en moins chargées et laissent les associations sans solution. « On a déjà fait des kilomètres pour ne récupérer qu’une dizaine de paquets de crêpes fourrées », se souvient Loïc, du Secours populaire.

La faute à qui alors ? A une meilleure gestion des stocks de la grande distribution ? Peut-être un peu. Mais cette tendance serait surtout à mettre au compte des rayons « antigaspi », dont le succès s’accroît en même temps que l’inflation.

Avant, tous les produits qui approchaient de la date de péremption étaient retirés des rayons pour être donnés aux associations. Et puis on a commencé à mettre des pastilles de réduction pour les vendre plutôt que de les donner. Ça limitait nos pertes et les clients étaient contents. Ça allait dans le bon sens », se souvient Ludovic, ancien responsable de plusieurs supermarchés discount.

Longtemps marginale, la présence de ces rayons « dates courtes » est aujourd’hui un véritable phénomène de société qui pénalise les associations de dons. « C’est clairement quelque chose qui nous a fait de la concurrence. On doit faire avec, repenser notre approvisionnement sur le frais et l’ultra-frais », concède un responsable du Secours populaire. Nous avons voulu interroger la Fédération du commerce et de la distribution sur ce point mais nous n’avons pas eu de réponse.

Au-delà des seuls rayons de la grande distribution, certains n’hésitent pas à incriminer les sociétés qui proposent les invendus de tous ceux qui commercialisent de l’alimentation. Elles sont plusieurs en Europe à avoir creusé ce sillon, d’abord pour éviter que de la nourriture consommable ne termine à la poubelle. La société Phénix, encore elle, fait partie de celles-là. En plus de faire l’intermédiaire entre grande distribution et associations, la start-up propose des paniers en date courte via son application du même nom. « On entend parfois qu’on cannibalise le don alimentaire. Notre métier, ce n’est pas ça. Quand on propose des paniers en dates courtes, ce n’est pas du traiteur libanais qui profite à des bobos du 15e arrondissement. Chez nous, 80 % des personnes qui utilisent l’application sont des mamans solos. Alors oui, il y a une cannibalisation du don, mais pour moi, elle contribue à une meilleure répartition », répond le fondateur Jean Moreau.

don alimentaire : les associations servent-elles de poubelles à la grande distribution ?

Du beurre, des oeufs Kinder, de la brioche et des gâteaux pour enfants… La ramasse du Secours populaire n’était pas des plus équilibrées sur le plan diététique. – C. Allain/20 Minutes

Dans les rangs des bénévoles des associations, on reconnaît que ces paniers ou colis antigaspi ont l’avantage de profiter à tout le monde, dans un contexte où l’inflation ne pèse pas que sur les plus fragiles. « Certains vivent avec très peu de moyens mais ne sont pas éligibles à l’aide alimentaire. Pour eux, c’est parfois le seul moyen de s’acheter de la viande ou du poisson », témoignent des bénévoles du Secours Pop. En France, près de trois millions de personnes ont fréquenté les distributions de la fédération des banques alimentaires en 2023. Un chiffre qui a augmenté de 40 % en quatre ans. Et c’est sans doute cela le plus alarmant.

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