Erasmus : «Aux yeux de la Commission européenne, la fréquentation d'Orban est pire que celle du Hamas»

FIGAROVOX/TRIBUNE – À la suite d’une décision en date du 15 décembre 2022, la Commission européenne a décidé de suspendre sa coopération avec plusieurs universités hongroises. Elle vient de confirmer cette suspension pour la rentrée 2024, expliquent Xavier-Laurent Salvador et Leonardo Orlando, qui regrettent ce choix.

erasmus : «aux yeux de la commission européenne, la fréquentation d'orban est pire que celle du hamas»

«Les étudiants des universités hongroises ont été bannis du programme Erasmus.»

Xavier-Laurent Salvador est agrégé de lettres modernes et cofondateur de l’Observatoire du décolonialisme.

Leonardo Orlando est docteur en sciences politiques et philosophie des sciences, et chercheur associé à Sciences Po.

En 2014, un intellectuel turc prônait la sortie de son pays du programme d’échange universitaire européen Erasmus. Il expliquait ainsi doctement que l’Europe cherchait à «fabriquer une génération de païens mondialisés sans racines». Selon lui, le contact des étudiants avec des réalités différentes constituait un péril qu’il fallait à tout prix interdire, car voyager en Europe pouvait donner aux jeunes des idées nocives pour la république des Mollahs et entraîner la décadence du pays.

Une décennie plus tard, la Commission européenne semble appliquer la même logique :à partir de la rentrée 2024, les étudiants des universités hongroises ont été bannis du programme Erasmus. Le kidnapping de la jeunesse étudiante, fut-elle hongroise – le grand crime ! – devrait pourtant nous interpeller. De quoi s’agit-il au juste ? Protéger la jeunesse européenne du contact avec les Hongrois ? Ou au contraire, empêcher ces derniers de découvrir à notre contact d’autres modèles de démocratie ? Il est pourtant du devoir de la Commission de laisser l’Université européenne accomplir sa mission de formation des futurs citoyens européens à travers le programme d’échange Erasmus.

La menace de la confiscation des accords d’échange est brandie par la Commission pour de sombres raisons politiques qui se cristallisent autour de la réforme de la gouvernance des Universités hongroises depuis 2018. Cette réforme a ouvert la possibilité, pour les universités qui le souhaitent, de devenir des «trusts libéraux» dont la direction est partagée entre un rectorat classique et un conseil d’administration («board of trustees») à l’américaine. Les 21 établissements qui ont adopté ce nouveau «management» ont désigné pour leurs Conseils d’administration 111 personnes, dont onze appartiennent au parti Fidesz d’Orban. Le ver est dans le fruit, incontestablement, et il convient d’être vigilants sur la possible dérive d’une gestion politique des établissements. Mais enfin ! S’étonne-t-on en France de voir nommés dans tous les conseils universitaires des membres politiques élus des départements ou des régions ? S’étonne-t-on de voir des membres du gouvernement présider des réunions dans nos grands amphithéâtres ?

C’est pourtant au titre de cette innovation que l’Europe a décidé de prendre des sanctions inédites. Selon la Commission, la présence des 11 partisans du président hongrois constitue une violation des principes de l’État de droit qui ferait courir un risque sérieux pour le budget de l’UE. Or depuis 2022, la Commission a adopté un nouveau moyen «pour coordonner et surveiller les politiques budgétaires des États membres». Et dans le cas précis de la Hongrie, le moyen choisi pour faire pression est celui des politiques universitaires. Ainsi, tous les étudiants de ces établissements se verront bientôt empêchés de participer aux échanges internationaux, subissant doublement les conséquences de cette situation : d’une part, en étant bannis des accords à la rentrée prochaine; d’autre part, en étant privés de la fréquentation des autres États membres. C’est une situation kafkaïenne.

Il est évidemment nécessaire de se protéger des dérives potentielles d’un état autoritaire. Mais que penser de la suite ? Les onze politiciens ont démissionné en bloc depuis février 2023, comme le reportent des journaux de gauche hostiles au gouvernement d’Orban. Pourtant, les sanctions sont maintenues et les négociations pour les lever sont au point mort. La Commission met sur la table de nouvelles conditions. Les 21 universités ont été exclues de facto d’Horizon puis l’ont été d’Erasmus en juin 2023. La Hongrie a déclaré souhaiter apporter des fonds nationaux afin de ne pas perdre les partenariats existants, mais la Commission fait la sourde oreille. Pire encore, sans attendre la fin des négociations, certaines agences européennes ont déjà enjoint aux différents consortiums de chercheurs d’exclure leurs partenaires hongrois.

L’utilisation qui est faite de sanctions contre la jeunesse étudiante pour des raisons politiques est proprement révoltante. Jusqu’à ce jour, jamais Erasmus et Horizon n’avaient fait l’objet d’une politisation quelconque : ces accords ont toujours été préservés et utilisés comme traits d’union entre les États membres. C’est pourquoi la Turquie ou la Serbie sont des membres à part entière de ces accords-cadres et des étudiants iraniens, vénézuéliens ou cubains peuvent également profiter du programme à travers Erasmus Mundus. Même l’Université islamique de Gaza a reçu 1.754.000 euros de l’UE dont des fonds Erasmus+ entre 2014-2019, malgré ses liens connus avec le Hamas. Il semblerait alors qu’aux yeux de la Commission, la fréquentation d’Orban soit pire que celle du Hamas !

Qu’il faille encadrer la dérive possible d’un État membre, c’est incontestablement nécessaire. Mais il est inadmissible que cela puisse passer par la remise en cause des principes universalistes qui sous-tendent les accords universitaires protecteurs de la jeunesse européenne. En agissant avec autant de désinvolture et de mépris pour la communauté universitaire, la Commission trahit le principe de la libre circulation des personnes et des idées. Pire, elle contrevient à la devise d’une Europe que la majorité des Européens imagine encore «unie dans la diversité».

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