Une manifestante a rejoint un rassemblement à Berlin pour la défense des droits des prostituées, brandissant une pancarte disant “Le travail du sexe est du travail”. Icon sport/Paul Zinken/dpa
Plus de vingt ans après sa légalisation, la prostitution fait à nouveau débat en Allemagne. L’opposition conservatrice au parlement fait campagne pour réformer la loi qui a rendu légal le commerce du sexe. Dans une proposition vendredi au Bundestag, le parti de l’ancienne chancelière Angela Merkel affirme que la loi de 2002 n’a pas atteint son objectif d’améliorer la situation des travailleurs du sexe et de freiner le trafic d’êtres humains.
Les conservateurs veulent l’interdiction des maisons closes et la pénalisation des personnes qui achètent des services sexuels. Le chancelier Olaf Scholz, social-démocrate, a récemment plaidé aussi pour des changements, jugeant « inacceptable que des hommes achètent des femmes ».
La tenue de l’Euro de foot cette année en Allemagne appelle à une vigilance particulière contre le trafic d’êtres humains, a alerté vendredi une députée social-démocrate, Leni Breymaier : « Car le marché créé par cet événement ne peut pas être comblé par la prostitution volontaire ».
Des dizaines de milliers de travailleurs du sexe
Parmi les 800 membres de la fédération des prestations sexuelles et érotiques (BesD), Kevin dit à l’AFP travailler « depuis des années » de son plein gré comme escort boy. Interdire le travail du sexe ne ferait qu’accroître la violence dissimulée, estime cet homme de 43 ans qui facture ses prestations 500 euros pour deux heures, complétant ainsi ses revenus de technicien chauffagiste.
Selon lui, « il faudrait punir plus fermement le proxénétisme et la traite des femmes ». Gérant du portail Internet Callboyz.net, où d’autres hommes vendent leurs services, il explique que tous les travailleurs du sexe y sont enregistrés auprès des autorités allemandes et paient des impôts à ce titre.
L’Allemagne compte environ 28 280 personnes prostituées déclarées, selon l’Office fédéral des statistiques (Destatis). Mais les travailleurs du sexe non déclarés seraient bien plus nombreux : la coprésidente du groupe parlementaire de l’opposition conservatrice au Bundestag, Dorothee Bär, cite le nombre de 250 000, des femmes pour la plupart. Elle qualifie son pays de « bordel de l’Europe ».
En France, le nombre de personnes prostituées est estimé entre 30 000 et 40 000, un chiffre ne prenant pas en compte la prostitution occasionnelle.
Des cas de prostitution difficiles
Le quotidien de Jana, une Bulgare de 48 ans, arrivée à Berlin en 1999 n’a rien à voir avec celui de Kevin. Cachée par sa capuche, Jana a la voix fêlée lorsqu’elle raconte à l’AFP comment elle s’est vendue pour rembourser le prix du bus (110 euros) à l’homme qui l’a aidée à se rendre en Allemagne en 1999.
Deux décennies plus tard, elle dort dans la rue et doit accepter des passes à 30 euros dans des toilettes publiques ou des sex-shops. Pour tenir, Jana qui préfère taire son nom, a pris pendant neuf ans de la méthamphétamine (ou « crystal meth ») mais dit avoir arrêté il y a trois mois.
«Ã‚ Un cas classique », explique Gerhard Schönborn, àla tête de l’association berlinoise Neustart (nouveau départ, NDLR) qui vient en aide aux prostituées. Il considère que la légalisation a eu des effets négatifs : « l’idée de départ était de sortir le métier de l’ombre. Mais cela a contribué àaugmenter le nombre de bordels en Allemagne ».
C’est dans le café de son association, située sur la Kurfürstenstrasse, la rue du tapin de la capitale allemande, que Jana vient se reposer. « Nous les aidons à s’inscrire à l’agence pour l’emploi, à trouver un médecin, un hébergement et éventuellement un nouveau travail », décrit Gerhard Schönborn.
Son lieu de rencontre, ouvert plusieurs heures par jour, accueille environ 3 500 femmes par an. Fin 2022, l’Allemagne comptait 2 310 entreprises déclarées de prostitution – maisons closes, mais aussi services fournissant des prostitués pour certains événements, par exemple -, d’après l’office national des statistiques Destatis. Ces établissements sont aussi dans le collimateur des partisans d’une réforme de la loi, qui critiquent les conditions dans lesquelles les femmes y travaillent et l’insuffisance des contrôles.
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