Avis de tempête sur l’hydrogène vert
Les éoliennes de Bouin (Vendée) ont été les premières de France à produire une électricité utilisée pour produire de l’hydrogène « vert ». Une filière qui pourrait subir la concurrence de l’hydrogène issu du gaz, du pétrole et du charbon.
Le gouvernement envisage d’autoriser la labellisation en tant qu’hydrogène décarboné de celui qui est produit à partir d’hydrocarbures. Cela pourrait tuer dans l’œuf la filière française naissante de l’hydrogène vert, redoutent les spécialistes.
Rien ne va plus dans le petit monde de l’hydrogène « propre » en France. Le gouvernement prépare un arrêté qui doit permettre de qualifier de « bleu » l’hydrogène actuellement classé en « gris ». *
Ce dernier est produit à partir de gaz fossile, de pétrole ou de charbon avec un bilan carbone désastreux : 12 tonnes de CO2 émises pour un 1 tonne d’hydrogène produite. À l’échelle française, cela veut dire 11 millions de tonnes de CO2 émises (3 % des émissions du pays) pour 900 000 tonnes d’hydrogène produites, essentiellement à destination du raffinage pétrolier, de la fabrication d’engrais azotés et de la chimie.
Nouvel usage pour la capture du carbone
Le gouvernement souhaite que cet hydrogène soit qualifié de « décarboné » si le CO2 émis durant le processus est récupéré puis stocké dans le sous-sol ou réutilisé (dans l’industrie ou bien dans les productions végétales sous serres).
Pour le grand producteur français d’hydrogène qu’est Air Liquide, ce serait une bonne affaire : nouveau marché de l’hydrogène décarboné, fin du quota carbone pour cette production, subventions pour capter le CO2, lequel est revendu. C’est également Air Liquide qui investit le plus actuellement dans les procédés, nouveaux en France, de captage et stockage du carbone. Ces derniers sont cependant vivement contestés par les ONG environnementales, qui y voient un moyen simple – mais peu efficace – de faire perdurer toutes les émissions d’origine fossile qu’il faudrait pourtant faire cesser.
Pour les clients, tels TotalEnergies et les raffineurs français (qui utilisent l’hydrogène pour extraire le soufre des carburants) souhaitant abaisser leur bilan carbone, utiliser de l’hydrogène gris « repeint » en bleu permettrait de bénéficier de son faible coût (il est quatre fois moins cher que l’hydrogène vert, environ 1,50 € du kilo au lieu de 6).
Quant au gouvernement, il accroîtrait ses chances d’atteindre les objectifs visant à atteindre 20 à 40 % d’hydrogène décarboné dans l’industrie en 2030.
L’hydrogène vert voit rouge
Mais ce projet suscite un vent de colère chez ceux qui investissent dans l’hydrogène « vert ». Celui-ci est encore naissant, dans la foulée du plan Hydrogène lancé par Nicolas Hulot en 2018, puis du plan de Relance d’Emmanuel Macron « France 2030 », en 2021 et du plan « Hydrogène » qui a suivi.
L’État s’est, en effet, engagé à soutenir à hauteur de 7 milliards d’euros la production d’hydrogène « vert », issu d’un processus tout autre : l’extraction, à l’aide d’électricité, de l’hydrogène contenu dans l’eau.
Si l’électricité est verte, l’hydrogène l’est aussi. Si elle est nucléaire, l’hydrogène est dit « rose ». Dans les deux cas, il est décarboné. Ce qui ouvre droit à des subventions (mais pas aux aides européennes dans le cas de l’hydrogène tournant à l’électronucléaire), à l’usage des réseaux de gaz pour son transport, après adaptation.
Cet hydrogène « vert » ou « rose » est destiné notamment à alimenter des véhicules (voitures, camions, trains) ou des bâtiments spécialement équipés de piles à combustible, à être brûlé pour produire de la chaleur, ou encore à être transformé en carburant pour avion ou navire.
Une filière naissante, des usines d’électrolyseurs en projet
Mais, pour extraire l’hydrogène de l’eau, il faut disposer d’équipements très spéciaux et très coûteux : des électrolyseurs, dont la fabrication est encore embryonnaire en France. Le plan « Hydrogène » prévoit de disposer de 6,5 gigawatts de capacité d’électrolyse en France. Pour le moment, à quatre ans de l’échéance, on espère seulement atteindre un seul gigawatt en 2026, grâce à un soutien de l’État de quatre milliards d’euros.
En parallèle, les premiers projets de production d’hydrogène vert se multiplient déjà. Dans le sillage du groupe Nantais Lhyfe, pionnier, dans son parc de Bouin (Vendée), de la production d’hydrogène à partir d’électricité d’origine éolienne, des électrolyseurs tournent déjà en région parisienne (porte de Saint-Cloud et à Châtenay-Malabry), ainsi qu’à Clermont-Ferrand ou encore à Fos-sur-Mer tandis que d’autres suivront bientôt au Havre et à Saint-Nazaire.
Tuer une filière dans l’œuf ?
Alors que cette dynamique est lancée, le projet du gouvernement est taxé de « contribuer à maintenir l’utilisation de gaz fossile dont précisément on souhaite se passer à terme », déplore Jules Nyssen, président du Syndicat des énergies renouvelables (SER).
Il redoute, de plus, que le label « bleu » permette à la transformation du gaz fossile « de bénéficier des mêmes subventions que l’hydrogène vert, alors que le vapo-réformage est parfaitement maîtrisé depuis longtemps et que les subventions seraient mieux employées ailleurs ». Pour le SER, c’est « l’incompréhension, » puisque la feuille de route de l’hydrogène «est celle de l’électrolyse, à base d’électricité renouvelable ou nucléaire ».
Bon point pour Air Liquide
Au sein de la filière, un acteur souhaitant rester anonyme estime que « faire basculer l’hydrogène gris en bleu, cela peut tuer l’hydrogène vert alors qu’il commence à peine en France. Le coût d’investissement dans les fours de production d’hydrogène fossile est dix fois moins élevé que dans un électrolyseur. Et le coût de l’énergie utilisée, du gaz fossile d’un côté, de l’électricité verte de l’autre, est quatre fois moindre. »
Pour ce fin connaisseur, « le grand gagnant sera Air Liquide, le principal producteur actuel d’hydrogène gris en France. Il va à la fois être exonéré de quota carbone pour cette production, toucher des subventions pour s’équiper et vendre son hydrogène plus cher, ainsi que le CO2 récupéré ».
Aujourd’hui, la moitié des 75 millions de tonnes d’hydrogène produites dans le monde (pour le raffinage pétrolier, les engrais azotés et la chimie principalement) est issue du gaz fossile. Presque tout le reste vient du pétrole et du charbon.
Seuls 5 % de l’hydrogène est produit par extraction de l’eau par électrolyse. Un procédé neutre pour la planète si l’électricité utilisée est « verte » puisqu’il ne rejette, outre l’hydrogène, que de l’oxygène.