Auxilliaires SS, sous l'uniforme noir

auxilliaires ss, sous l'uniforme noir

Lors du procès Belsen. 8 : Hertha Ehlert, 9 : Irma Grese, 10 : Ilse Lothé.

Elles étaient postières, infirmières, employées de maison… Formées à Ravensbrück, ces femmes sont devenues surveillantes et gardiennes de camp, tortionnaires impitoyables dont la cruauté n’avait rien à envier à celle des hommes.

Ces dames en manteau de feutre, en apparence si respectables, pouvaient-elles avoir été des tortionnaires ? En novembre 1975, s’ouvrit devant le tribunal de Düsseldorf, en Allemagne, le dernier grand procès des camps nazis mené outre-Rhin : celui de Majdanek, un camp de la mort situé près de la ville de Lublin, dans l’est de la Pologne. Y furent assassinés 78 000 déportés, en grande majorité juifs, dans des chambres à gaz et des fusillades de masse. Parmi les 16 accusés, d’anciens commandants du camp, des gardiens, un médecin et six femmes âgées de 50 à 72 ans, ayant officié pendant la guerre comme surveillantes dans la section réservée aux détenues.

Derrière leur allure banale se cachaient d’ex-matonnes impitoyables, dont la violence continuait de hanter les rescapées appelées à la barre. L’une des accusées, Hildegard Lächert, 55 ans, soupçonnée de complicité dans quelque 1 100 meurtres, avait été surnommée, à Majdanek, «Brygida la Sanglante». Sa spécialité : lâcher son chien féroce sur les prisonnières. Une autre, Hermine Braunsteiner, 56 ans, avait hérité du nom de «Kobyla» («Jument» en polonais) pour sa propension à piétiner les prisonnières avec ses bottes équipées de pointes métalliques. Elle était inculpée pour des centaines de meurtres en réunion. Assassinats sommaires, tortures… Les crimes reprochés à ces Aufseherinnen (surveillantes) étaient de la même férocité que ceux de leurs homologues masculins.

Des femmes au coeur de la sinistre machinerie des camps

De prime abord, l’idée paraît presque saugrenue. Ces lieux de répression et d’extermination, où l’idéologie nationale-socialiste fut transcrite de la façon la plus brutale, étaient des univers foncièrement masculins, gérés par la SS (Schutzstaffel, «Escadron de protection»), une organisation réservée aux hommes. Dans la vision hitlérienne, profondément misogyne, les femmes n’avaient rien à y faire : leur place était au sein du foyer, afin d’enfanter et élever les futures générations de la race aryenne. Mais il y avait une exception. Selon un principe fixé par Heinrich Himmler, le grand maître de la SS, les détenues féminines devaient absolument être surveillées par des femmes. Une partie des gardiens des camps étaient donc… des gardiennes.

Entre les années 1930 et 1945, environ 4 000 Aufseherinnen furent ainsi recrutées pour suppléer les SS au sein des camps féminins. Un effectif restreint par rapport aux dizaines de milliers de gardes hommes qui sévirent durant la même période dans le réseau concentrationnaire. Mais l’existence même de ces femmes auxiliaires, tout comme la cruauté dont elles ont fait preuve, bousculent les idées reçues et illustrent l’implacable mécanique de la violence à l’oeuvre au sein du IIIe Reich. Apparues dès les premières années du régime nazi, alors que le système des camps commençait à se structurer, ces gardiennes étaient d’abord des figures marginales, tout simplement parce que la détention des femmes l’était aussi. Ce n’est qu’à partir de fin 1937 qu’une première ébauche de camp de concentration au féminin fut mise en place dans le château de Lichtenburg, dans l’est du pays. Là, une cinquantaine de surveillantes commença à appliquer à quelques centaines de détenues (opposantes politiques, témoins de Jéhovah…) les méthodes édictées par Theodor Eicke, le «théoricien» des camps : conditions de détention spartiates, appels matinaux interminables, punitions par isolement ou coups de fouet, règne de la peur et de l’arbitraire, absence de toute pitié ou de charité…

Ces «louves grises», comme les appelaient les prisonnières, étaient en général des nationales-socialistes convaincues, à l’image de la jeune et blonde Maria Mandl, surnommée la «Bête». Avec des baraquements prévus pour 3 000 détenues, le premier véritable camp pour femmes ouvrit en 1939 à Ravensbrück, dans une zone de marais au nord de Berlin. Pour attirer les apprenties Aufseherinnen, les SS leur promettaient un excellent salaire, un hébergement dans de jolies villas blanches au bord d’un lac… Les exigences, elles, étaient minimales. Il suffisait d’être âgée de 21 à 45 ans, de mesurer au moins 1,60 m, d’être déclarée apte lors d’un examen médical et de s’affirmer loyale au régime. Le poste de surveillante attira alors des femmes à la situation précaire : des bonnes, des postières, des employées de ferme, souvent jeunes et célibataires, telle Hermine Braunsteiner, issue d’une famille pauvre d’Autriche, ouvrière d’une usine de munitions à Berlin qui aurait rêvé d’être infirmière. Leurs motivations résidaient surtout dans les avantages matériels et dans la promotion sociale que représentait ce travail au service de la SS.

Au coeur du système nazi, des milliers d’employées zélées

Dès lors, débutait à Ravensbrück une période de formation bien rodée, à la finalité limpide : la transformation de ces femmes ordinaires en bourreaux. Leur métamorphose commençait par le port de l’uniforme, avec sa cape en loden et ses bottes en cuir noir semblables à celles des SS, source de prestige et de fierté. À la Kommandantur, les nouvelles recrues se voyaient ensuite rappeler l’importance de leur rôle au service du Führer : remettre dans le droit chemin des éléments récalcitrants de la société, désignés comme des êtres inférieurs à traiter sans ménagement. Une idée à laquelle ces Allemandes modestes et peu éduquées, dont les plus jeunes avaient été embrigadées dans des organisations de jeunesse nazies, n’émettaient pas d’opposition de principe. Puis venait très vite l’apprentissage de la violence quotidienne – absente des descriptions du poste –, inspirée par Theodor Eicke : insultes, travail forcé, châtiments au fouet… Pour lever l’inhibition des novices, on mit en place des «exercices Lichtenburg» consistant à frapper des prisonnières sans aucune justification.

Des femmes jeunes et malléables, investies d’un pouvoir absolu face à des détenues déshumanisées : de quoi encourager naturellement une brutalité illimitée… Cette fabrique de la cruauté se révéla particulièrement efficace, à en croire l’ethnologue française Germaine Tillion, déportée à Ravensbrück, qui nota la rapidité avec laquelle les nouvelles gardiennes se muaient en geôlières sadiques. «Pour une petite Aufseherin de 20 ans, qui, le jour de son arrivée, était tellement peu au fait des bonnes manières du camp qu’elle disait “pardon” lorsqu’elle passait devant une prisonnière, et qui avait été visiblement effrayée par les premières brutalités qu’elle avait vues, il a fallu exactement quatre jours avant qu’elle ne prît ce même ton et ces mêmes procédés, écrit-elle en 1946 dans son livre Ravensbrück. Pour les autres, on peut dire que huit à quinze jours, un mois au plus, représentaient une moyenne très normale d’adaptation.»

L’émulation et la surenchère pour gravir les échelons

La violence s’entretenait aussi par l’émulation et la surenchère, afin de gagner le respect des hommes SS du camp, ou pour gravir les échelons. Car les gardiennes pouvaient obtenir de l’avancement, jusqu’au poste de surveillante en chef, dans les faits, numéro 2 du camp. Maria Mandl, qui s’illustra à Ravensbrück par sa perversité, y fut nommée en avril 1942, alors qu’elle était tout juste trentenaire. D’abord limité à Ravensbrück, le domaine des Aufseherinnen s’étendit au fil de la guerre.

À partir de 1942, les camps pour femmes se multiplièrent, suivant l’essor général du système concentrationnaire, à la fois réservoir de main-d’oeuvre pour l’industrie de guerre et terrain d’application de la solution finale. On comptera une douzaine de camps, dont deux dans l’enceinte des camps d’extermination d’Auschwitz et de Majdanek, mais aussi des centaines de petits camps annexes. L’administration SS dut accélérer le recrutement des gardiennes – plus de 1 800 enrôlements en 1944 –, allant jusqu’à débaucher des ouvrières dans les usines ou recourir au travail obligatoire. Les surveillantes expérimentées de Ravensbrück furent aussi appelées à exporter leur savoir-faire dans ces nouveaux sites, à l’image de Maria Mandl, mutée à Auschwitz en 1942 comme surveillante en chef, ou d’Hermine Braunsteiner, transférée à Majdanek. Dans les camps de la mort, les matonnes trouvèrent des conditions bien plus dégradées que dans leur Lager (camp) d’origine, à la fois pour les détenues et pour elles-mêmes. La violence, l’humiliation, la déshumanisation, étaient poussées à l’extrême. Certaines participèrent directement aux exterminations. Maria Mandl avait ainsi l’habitude de faire le tri parmi «ses» prisonnières. Elle écartait celles qu’elle jugeait trop faibles pour travailler, pour les envoyer à la mort, au rythme de plusieurs dizaines par jour. On la vit aussi participer aux sélections à l’arrivée des convois, afin d’envoyer au gaz toutes les déportées jugées «inaptes».

Sur les quelque 4 000 gardiennes qui sévirent dans les camps, toutes n’exercèrent pas le même degré de violence. Certaines, surtout parmi les dernières recrutées, furent choquées par la réalité qu’elles découvrirent, ou étaient jugées trop «molles» par leur hiérarchie… Rares furent celles, toutefois, qui refusèrent leur besogne. «Les femmes assez courageuses pour dire non ne risquaient aucune sanction, les historiennes sont formelles aujourd’hui, écrit la spécialiste du nazisme Barbara Necek dans son livre Femmes bourreaux (éd. Grasset, 2022). Mais dans la majorité des cas, les considérations matérielles l’ont emporté.»

De rares arrestations après-guerre

Après 1945, peu nombreuses furent celles qui affrontèrent leurs responsabilités. Moins de 80 gardiennes furent condamnées dans les divers procès des camps organisés dans l’immédiat après-guerre, dont 25 à la peine capitale. Maria Mandl en fit partie. Arrêtée par des soldats américains dans son village natal autrichien, où elle tentait de se cacher, elle fut jugée à Cracovie dans le procès d’Auschwitz, en 1947, et pendue l’année suivante.

Après 1950, les arrestations se firent encore plus rares : nombre d’ex-Aufseherinnen avaient disparu dans la nature. Hermine Braunsteiner menait ainsi une vie paisible de femme au foyer dans le Queens, à New York, et ne fut débusquée qu’en 1964, grâce au chasseur de nazis Simon Wiesenthal. À son procès, qui s’acheva en 1981, elle fut condamnée à la perpétuité, tandis que sa comparse Hildegard Lächert écopait de douze ans de prison. Trois autres accusées furent acquittées, faute de preuves. Devant les tribunaux, les gardiennes ne manifestèrent aucun remords, minimisant voire justifiant leurs actes, se posant parfois en victimes. Comme si elles-mêmes peinaient à réaliser que de simples femmes de condition modeste aspirant à une promotion sociale aient pu devenir des rouages actifs de l’entreprise criminelle du Reich.

➤ Article paru dans le magazine GEO Histoire n°74, Le nazisme et les femmes, de mars-avril 2024.

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