« L'Affaire Thomas Crown », « Rollerball »... Le metteur en scène Norman Jewison est mort

« L’Affaire Thomas Crown », « Rollerball »… Le metteur en scène Norman Jewison est mort

Norman Jewison vient de nous quitter à l’âge de 97 ans. Il est « décédé samedi paisiblement », selon un communiqué publié lundi 22 janvier par son agent, Jeff Sanderson.Artisan discret, excellent directeur d’acteurs, ce cinéaste engagé a touché à tous les genres et abordé des questions sociales et politiques tout au long de sa carrière. Démocrate convaincu, il a voulu « lutter contre l’injustice et le racisme ». Car ce Canadien, né le 21 juillet 1926 à Toronto, entretenait un rapport amour-haine avec les États-Unis, son pays d’adoption. Il a produit 18 de ses 24 films et a bénéficié, de ce fait, d’une grande liberté dans le choix de ses sujets.

Comme beaucoup de cinéastes de sa génération (Sidney Lumet, John Frankenheimer, Arthur Penn?), il a fait ses premiers pas à la télévision américaine au début des années 1950 et a appris son métier en travaillant à New York pour les chaînes du groupe NBC. Norman Jewison ne débute au cinéma qu’en 1962 lorsque l’acteur Tony Curtis l’embauche pour le diriger dans une comédie dont il est la vedette, l’insipide Des ennuis à la pelle. Sous contrat avec Universal, il tournera encore trois comédies assez anecdotiques avant que sa carrière ne décolle vraiment avec son cinquième long-métrage.

emLe Kid de Cincinnati/em (1965) avec Steve McQueen. © FILMWAYS PICTURES / SOLAR PRODUC / Collection ChristopheL via AFP

Le Kid de Cincinnati (1965) avec Steve McQueen. © FILMWAYS PICTURES / SOLAR PRODUC / Collection ChristopheL via AFPC’est en effet grâce au Kid de Cincinnati (1965) que Jewison remporte son premier grand succès public et passe aux choses sérieuses. Il a remplacé au pied levé Sam Peckinpah à la réalisation de ce film qui se déroule durant les années 1930 à La Nouvelle-Orléans. Steve McQueen y joue un jeune challenger qui doit se mesurer lors d’un tournoi à un redoutable joueur de poker professionnel. Un rival plus âgé et invaincu qu’il affronte au cours d’une longue et mémorable partie de cartes. Dans ce rôle, Edward G. Robinson est magistral en as du poker rusé comme un renard, dont le calme et les yeux plissés dissimulent toujours un coup de bluff.

Pluie d’oscars pour Norman Jewison

emDans la chaleur de la nuit /emavec Sidney Poitier et Rod Steiger (1967). © MIRISCH CORPORATION / Collection ChristopheL via AFP

Dans la chaleur de la nuit avec Sidney Poitier et Rod Steiger (1967). © MIRISCH CORPORATION / Collection ChristopheL via AFPEn 1967, Jewison continue sa percée au box-office avec l’époustouflant Dans la chaleur de la nuit, qui remporte cinq oscars, dont celui du meilleur film. Sidney Poitier y interprète Virgil Tibbs, un officier noir de la police de Philadelphie qui enquête sur un meurtre dans une petite ville du Mississippi et se heurte au racisme de ses habitants. Mais aussi à celui du shérif local (Rod Steiger, oscarisé pour ce rôle), un type colérique et brutal avec lequel il doit coopérer. Sorti seulement trois ans après l’adoption de la loi sur les droits civiques, qui interdisait toute forme de discrimination raciale aux États-Unis, le film stigmatise le ségrégationnisme du Sud profond et marque une date à Hollywood.

emL affaire Thomas Crown/em (1968) avec Steve McQueen et Faye Dunaway. © MIRISCH CORPORATION / THE / Collection ChristopheL via AFP

L affaire Thomas Crown (1968) avec Steve McQueen et Faye Dunaway. © MIRISCH CORPORATION / THE / Collection ChristopheL via AFPUn an plus tard, le réalisateur retrouve Steve McQueen pour L’Affaire Thomas Crown (1968), bel objet pop sixties dans lequel la star incarne un riche homme d’affaires de Boston qui met au point le hold-up? de sa propre banque ! Le play-boy est soupçonné du casse par une ravissante inspectrice d’une compagnie d’assurances qui tente de le coincer (la très chic Faye Dunaway). Dans ce séduisant jeu du chat et de la souris, Jewison lance la mode du split screen, un procédé qui consiste à diviser l’écran en plusieurs parties afin de suivre des actions parallèles ou simultanées (il a fait appel pour la quatrième fois à son brillant monteur ? et futur réalisateur ? Hal Ashby pour agencer cette mosaïque d’images). Accompagné par la musique de Michel Legrand, ce film glamour et sophistiqué propose aussi l’un des plus longs baisers de l’histoire du cinéma (55 secondes sans interruption). Et connaîtra un triomphe planétaire.À LIRE AUSSI « La Grande Évasion » : quand Steve McQueen crève l’écran

En 1971 et 1973, le réalisateur enchaîne avec l’adaptation de deux comédies musicales créées sur les planches à Broadway : tout d’abord le pittoresque Un violon sur le toit, qui raconte la vie dans un shtetl ukrainien d’une petite communauté juive, bientôt victime des pogroms. Puis l’opéra-rock évangélique Jesus Christ Superstar, sommet de kitsch et de mauvais goût, où un Messie au look hippie fredonne des chansons embarrassantes.

Science-fiction et comédie romantique

Heureusement, Jewison retrouve tout son punch avec Rollerball (1975), fable de science-fiction avec James Caan dans laquelle il décrit un monde futuriste où les nations sont remplacées par de puissantes multinationales, qui se partagent le pouvoir. La guerre n’existe plus. À la place, le public se repaît de matchs de Rollerball.

emRollerball/em en 1975 avec James Caan. © ALGONQUIN / Collection ChristopheL via AFP

Rollerball en 1975 avec James Caan. © ALGONQUIN / Collection ChristopheL via AFPUn sport d’une brutalité inouïe, retransmis en direct à la télévision, où deux équipes s’affrontent à mort. Avec cette dénonciation du sport-spectacle, le metteur en scène condamne une société utilisant de nouveaux jeux du cirque romains (ici un mélange de football américain, de motocross et de hockey) pour canaliser les pulsions violentes et l’agressivité des masses.À LIRE AUSSI James Caan : « Je suis un acteur, je ne peux accepter mon âge »

Jewison s’attaque ensuite à un sujet ambitieux avec F.I.S.T. (1977) : la corruption dans le syndicat des camionneurs américains et ses liens avec le syndicat du crime ? à savoir la Mafia. Le personnage joué par Sylvester Stallone n’est d’ailleurs pas sans rappeler Jimmy Hoffa, le tout-puissant patron des Teamsters. Avec Justice pour tous (1979), écrit par Barry Levinson, le réalisateur se livre aussi à une dénonciation du système judiciaire américain et offre à Al Pacino le rôle d’un jeune avocat idéaliste.

emÉclair de lune/em (1987) avec Cher et Nicolas Cage. © MGM / Collection ChristopheL via AFP

Éclair de lune (1987) avec Cher et Nicolas Cage. © MGM / Collection ChristopheL via AFPRetenons aussi Éclair de lune (1987), savoureuse comédie romantique avec Cher et Nicolas Cage. Une peinture de la communauté italienne de Brooklyn, servie par des dialogues subtils et follement drôles. Puis enfin un nouveau plaidoyer contre le racisme : Hurricane Carter (1999), tiré d’une histoire vraie, où Denzel Washington campe un boxeur afro-américain victime d’une erreur judiciaire et injustement condamné à mort (Bob Dylan lui consacrera une chanson).

Extraordinaire de diversité, la carrière de Norman Jewison a porté pendant six décennies un regard passionnant sur l’histoire de l’Amérique. Un cinéma généreux dont on peine à trouver un équivalent aujourd’hui.