Antisémitisme : la France face au déni de justice

Antisémitisme : la France face au déni de justice

Le 23 avril, la police a interpellé un agent de la RATP à Gennevilliers, dans les Hauts-de-Seine. Elle est arrivée à temps pour sauver une jeune femme juive qui affirme avoir été séquestrée, violée et menacée de mort par l’intéressé pour « venger la Palestine ». L’enquête est en cours.

Coïncidence significative des dates : le 11 avril dernier, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France pour dysfonctionnement de la justice dans une affaire semblable. Dans cet autre dossier, toute la chaîne judiciaire, depuis le tribunal de première instance jusqu’à la Cour de cassation, en passant par la cour d’appel de Paris, avait occulté le mobile antisémite ? pourtant évident ? des violences et menaces de mort à l’encontre d’une femme de confession juive.

« Vive la Shoah ! »

Les faits étaient les suivants : un individu B. ? qui, contrairement à sa victime, bénéficie de l’anonymat, alors qu’il est extrêmement dangereux ? avait été éconduit par une femme à laquelle il faisait des avances. Cette frustration avait alors libéré sa haine des juifs. Parmi les propos d’une violence extrême ? et, pour certains, particulièrement glauques ? qu’il avait prononcés, on peut citer : « Si je te croise dans la rue, je te casse ton nez de salle juive », ou encore « Je te déteste toi et ta sale race ! Vive les camps ! Vive la Shoah ! Vive l’Allemagne nazie ! Heil Hitler ! ». Son dernier message était accompagné d’une photo de Hitler.

Saisi par la jeune femme, le procureur avait obstinément refusé de reconnaître le mobile antisémite, qui est une circonstance aggravante selon le code pénal. Les juges, sans exception, lui avaient emboîté le pas dans la suite de la procédure. En dépit de conclusions contraires de son avocate générale, la Cour de cassation s’était bornée, le 26 juin 2017, à confirmer la condamnation de B. pour menaces de mort et violences. Sans plus.

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Ce n’est pas faute, pour la victime, d’avoir invoqué le fait que ces violences avaient eu « de lourdes conséquences sur sa vie personnelle et professionnelle en portant profondément atteinte à sa dignité de femme et de juive ». Elle avait dû déménager et changer de lieu de travail. Non seulement l’auteur n’a eu qu’une peine légère, mais, en l’absence de circonstance aggravante, sa victime n’a obtenu qu’une indemnité dérisoire.

La Cour européenne a condamné ce déni de justice, estimant que la France avait manqué à ses obligations découlant de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme sur la liberté de mener une vie privée et familiale normale, ainsi que de l’article 14 sur l’assurance d’une protection pénale contre les agissements discriminatoires.

Explosion des agressions antisémites

Un des enseignements de cette lamentable affaire est que la propension de la justice ? et des médias ? à occulter le motif religieux de certains actes n’a aucun effet d’apaisement sur les tensions habitant cette société segmentée qu’est devenue la France. Le nombre d’agressions antisémites explose car l’immunité bénéficie à leurs auteurs.

La situation est d’autant plus préoccupante que la tendance à l’augmentation des actes antireligieux est attestée par les statistiques du ministère de l’Intérieur. Il s’agit, pour la grande majorité d’entre eux, d’actes antisémites et antichrétiens. En 2023 ont été recensés 1 762 faits antisémites, 564 faits antichrétiens et 131 antimusulmans (tags, menaces et insultes, apologie du terrorisme, atteintes aux lieux de culte et aux centres communautaires, coups et blessures). Encore ces chiffres ne recouvrent-ils que les actes ayant fait l’objet d’un signalement à la justice. Et ils doivent évidemment être rapportés aux populations concernées pour mesurer la pression que l’intolérance religieuse exerce sur chacun en France, selon ses attaches confessionnelles.

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Aussi est-il urgent d’organiser des cours de formation continue à l’École nationale de la magistrature, ainsi que dans les écoles et facultés de droit, pour sensibiliser à la prise en compte de la dimension religieuse, notamment antisémite dans les circonstances présentes, caractérisant certains crimes et délits. Un rapport devrait, par ailleurs, être établi par le ministère de la Justice sur l’application de la circulaire de politique pénale du garde des Sceaux du 10 octobre 2023, « relative à la lutte contre les infractions susceptibles d’être commises en lien avec les attaques terroristes subies par Israël depuis le 7 octobre 2023 », appelant à appliquer strictement l’article 132-76 du code pénal qui relève la peine d’emprisonnement en cas de mobile religieux : « Dans les cas prévus par la loi, les peines encourues pour un crime ou un délit sont aggravées lorsque l’infraction est commise à raison de l’appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, de la victime à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. »

Tout ne serait pas résolu pour autant, bien sûr. Mais, au moins, les pouvoirs publics manifesteraient-ils leur entière détermination à lutter contre ce poison mortel que sont la haine religieuse en général et l’antisémitisme en particulier. Ce poison a trop meurtri la France au cours de son histoire pour que nous le laissions diffuser aujourd’hui sans réagir avec la fermeté et la lucidité nécessaires.

*Tribune du « Cercle Droit et Débat public » présidé par Noëlle Lenoir (avocate, ancienne ministre et membre honoraire du Conseil constitutionnel), comprenant, notamment, les membres suivants :

• Pierre-Henri Conac (professeur de droit)
• Dominique de La Garanderie (avocate, ancienne bâtonnière de Paris)
• Jean-Claude Magendie (premier président honoraire de la cour d’appel de Paris)
• Jean-Yves Naouri (chef d’entreprise)
• Jean-Éric Schoettl (ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel)
• Philippe Valletoux (consultant)