Affaire Kendji Girac : « Et s’il le fait vraiment ? »… Des victimes racontent la violence du chantage au suicide
Pour expliquer s’être tiré une balle dans le thorax, le chanteur de « Color Gitano » a indiqué qu’il souhaitait « faire peur » à sa compagne qui menaçait de le quitter. Une situation considérée comme une forme de violence psychologique
Kendji Girac a indiqué aux enquêteurs s’être tiré une balle dans le thorax en voulant « simuler un suicide ». Le chantage au suicide est considéré comme une forme de violence psychologique. (Illustration)
VIOLENCE PSYCHOLOGIQUE – Pour expliquer s’être tiré une balle dans le thorax, le chanteur de « Color Gitano » a indiqué qu’il souhaitait « faire peur » à sa compagne qui menaçait de le quitter. Une situation considérée comme une forme de violence psychologique
Il voulait « simuler un suicide », « faire entendre le bruit de la détente » à sa femme pour la dissuader de mettre les voiles après une énième dispute. C’est ainsi que Kendji Girac a justifié devant les enquêteurs la blessure par balle qu’il s’est lui-même infligée. « Je voulais qu’elle me dise d’arrêter et qu’elle ne parte pas », a déclaré le chanteur, selon les mots du procureur de la République de Mont-de-Marsan, jeudi dernier. Si les investigations se poursuivent, le temps notamment de récupérer les dernières expertises, l’enquête s’oriente vers un classement sans suite.
Car qu’il s’agisse d’un « suicide simulé qui tourne mal ou d’un véritable suicide », les faits ne sont pas pénalement répréhensibles, a précisé le magistrat. Si la justice n’enquête pas sur les raisons d’un passage à l’acte suicidaire, feindre un suicide pour retenir sa conjointe peut, toutefois, être pénalement répréhensible.
Le chantage au suicide fait partie des violences psychologiques détaillées par la grille d’évaluation du danger, distribuée aux forces de l’ordre. Lors d’une audition, les policiers ou les gendarmes sont ainsi invités à demander si « le partenaire a déjà exprimé des idées ou des menaces de suicide ». « Dire à quelqu’un qu’on va se suicider, le répéter très régulièrement, est une manière de faire culpabiliser la victime, insiste Me Migueline Rosset, spécialiste en droit de la famille. Il y a parfois des terrains dépressifs mais c’est le plus souvent une forme de manipulation pour parvenir à ses fins. C’est une manière de dire “ne me quitte pas sinon tu l’auras sur la conscience”. »
« Plus notre couple battait de l’aile, plus il le répétait »
Camille* a mis longtemps à se rendre compte que les « crises » de son ex-mari, comme elle les appelle pudiquement, étaient en réalité une forme de chantage. « Il me disait qu’il se foutrait en l’air si je le quittais, qu’il ne le supporterait jamais, confie la quadragénaire. Plus notre couple battait de l’aile, plus il le répétait. Ce n’était même pas forcément dans le cadre d’une dispute. » Les premiers mois, elle met cela sur le compte d’un mal-être lié à la fin inéluctable de leur vie de famille et à des problèmes professionnels. Mais les paroles menaçantes s’intensifient. Une fois, il se saisit d’un couteau et fait mine de s’égorger en la regardant fixement.
Le climat devient délétère. Selon le récit de cette mère de trois enfants, les insultes, remarques dénigrantes ou menaçantes se font presque quotidiennes. Mais la crainte que son mari se fasse du mal pousse Camille à temporiser. « Je n’avais qu’une envie, c’était de prendre les enfants et me barrer mais à chaque fois, je me disais : “Et s’il le fait vraiment ?”. J’avais peur qu’il laisse une lettre aux enfants en disant je me suis suicidé à cause de votre mère… » C’est à la faveur d’un reportage à la télévision qu’elle se rend compte que ce qu’elle vit est une forme de violence psychologique. Un « déclic », selon elle. Quelques mois plus tard, elle finit par se rapprocher d’une avocate et demande le divorce.
« Ils n’ont plus d’emprise sur leur victime »
«Ã‚ Ce type de chantage est généralement lié àla rupture, lorsque les auteurs comprennent qu’ils ont atteint un point de non-retour et qu’ils n’ont plus d’emprise sur leur victime. Ils passent alors par la manipulation », analyse l’avocate Me Anne-Claire Lejeune. Et la pénaliste de se remémorer ce dossier dans lequel un homme a écrit àson ex-compagne qu’il était sur les rails du train. L’enquête – et notamment la géolocalisation de son téléphone – a finalement établi qu’il se trouvait chez lui.
Selon une vaste enquête du Ministère de l’Intérieur publiée en 2022, 32 % des femmes victimes de violences psychologiques au sein de leur couple affirment avoir subi « du chantage à se faire du mal en cas de rupture ». Un chiffre qui tombe à 23 % pour les hommes. « Le chantage est une forme de violence conjugale, insiste Me Migueline Rosset. Quelqu’un qui n’est pas violent ne va pas menacer de se suicider pour retenir sa partenaire. »
Cette violence insidieuse, Julie* aussi l’a vécue il y a quelques mois. « Ce sont les associations qui m’ont permis de comprendre qu’à travers ces menaces de suicide, c’était moi qui étais visée », résume cette mère de famille. Le chantage a commencé lorsqu’elle a quitté le domicile familial avec ses enfants après un énième épisode de violence. Il y a d’abord eu des coups de téléphone et des textos dans lesquels son ex-mari lui disait avoir laissé une lettre d’adieu à son intention. Et puis il y a eu ce jour où, en se rendant chez son avocate pour finaliser la procédure, elle est tombée nez à nez avec lui dans le métro. « Je ne sais pas s’il m’a suivi ou si c’était vraiment un hasard, mais ce n’était ni sa ligne, ni la mienne et on était en plein milieu de l’après-midi », insiste-t-elle.
« Ça, c’est pour toi »
Immédiatement, elle sent la peur monter. Son ancien conjoint la suit, se tient extrêmement proche d’elle. A peine sont-ils sortis de la station, qu’il retire son sac à dos, hurle « ça, c’est pour toi » puis part en courant au milieu de la chaussée. « Il a été percuté par une première voiture, puis il s’est relevé et est reparti en courant sur une grande avenue parisienne », résume-t-elle. Heureusement, les automobilistes avaient assisté à sa première tentative et un témoin est parvenu à le maîtriser rapidement. « C’était d’une violence inouïe, assister à cette scène, le fait qu’il m’en rende responsable… Je me suis dit qu’il était vraiment capable de se suicider », insiste-t-elle.
Si cela n’a pas dissuadé Julie d’aller jusqu’au bout de sa démarche – son ex-mari n’a désormais plus le droit de l’approcher, elle et leurs enfants –, ce chantage place souvent les victimes dans un dilemme insoluble. Récemment, Me Anne-Claire Lejeune a défendu une adolescente manipulée par son petit ami, également mineur. « Elle voulait se séparer de lui mais pendant six-huit mois, il lui faisait du chantage dès qu’elle essayait de partir, il la faisait culpabiliser, elle, alors qu’il la violait. C’était vraiment une double peine. Elle s’est isolée, a commencé à développer des troubles physiques et psychiques graves. » Finalement, la mère de l’adolescente est parvenue à la sortir de cette emprise. Et dans cette affaire, les menaces de suicide ont été retenues par le tribunal pour enfant comme une forme de contrainte.
* Les prénoms ont été modifiés à la demande des intéressées
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