«Ce n’est pas un questionnaire de police» : à la nuit de la solidarité 2024, le difficile décompte des sans-abri de Paris

La salle de la mairie du 6e arrondissement de Paris est comble. Des bénévoles de tous âges, venus participer l’édition 2024 de la «Nuit de la Solidarité», écoutent avec attention les explications de Paul Henry, attaché à la direction des solidarités de la Ville de Paris, qui mène la formation avant le départ prévu à 22h. Dans toute la ville, plusieurs centaines de bénévoles arpenteront les rues pour compter le nombre de personnes qui n’ont pas d’endroit où dormir pendant la nuit.

Sur l’écran de la salle défilent les indications pour remplir les différents questionnaires, censés correspondre aux cas rencontrés : personne seule, couple ou famille, groupe de cinq personnes ou plus, enfants, tentes… «En cas de situation de vulnérabilité, particulièrement pour les femmes ou les mineurs, il faut appeler le 15 ou les pompiers», rappelle Paul Henry.

«ce n’est pas un questionnaire de police» : à la nuit de la solidarité 2024, le difficile décompte des sans-abri de paris

«Ce n’est pas un questionnaire de police»

Les questions pratiques fusent, les soupirs et les rires aussi. C’est que les questionnaires sont difficilement déchiffrables, et les cas possibles innombrables. «Là on n’est pas dans l’humain, on est dans la méthodologie», insiste Paul Henry. Une remarque qui peut surprendre, tant tout semble rappeler l’organisation d’une action sociale. Pourtant, la nuit de la solidarité n’est pas une maraude, mais bien un recensement : l’initiative, lancée depuis 2018 à Paris intra-muros, s’étend peu à peu depuis 2022 au reste de la métropole, et dans plusieurs villes de France. Outre le décompte, il s’agit aussi pour la mairie d’interroger ces personnes sur leur accompagnement social afin d’améliorer les services publics.

Ce dispositif inspiré par d’autres métropoles mondiales pourrait s’étendre à la France entière : la veille, le Sénat a adopté une proposition de loi émanant de la gauche qui vise à imposer à toutes les communes un décompte annuel, et un dispositif comme celui de Paris à toutes les communes de plus de 100.000 habitants.

«J’ai utilisé les données de l’édition précédente dans le cadre d’un projet à Sciences Po», explique Veronica, qui y étudie en master. C’est la première fois qu’elle participe à l’initiative : «je me suis dit que c’était une bonne manière de contribuer à l’enquête», ajoute-t-elle. À ses côtés, Marie raconte venir elle aussi pour la première fois, après en avoir entendu parler par une amie. Son frère, Paul, venu de La Rochelle pour passer le week-end en famille, a été embarqué dans l’aventure. Yen Ling et Dominique, qui participe chaque année à l’initiative depuis 2019, complètent l’équipe menée par Paul Henry. «C’est pas un questionnaire de police, l’idée c’est d’avoir une conversation fluide», rappelle justement le chef d’équipe, alors que Veronica et Paul s’entraînent à poser les questions.

«On ne réveille pas quelqu’un qui dort !»

Une fois les chasubles enfilées, les équipes sont prêtes à partir : «rappelez-vous, on reste en groupe, on ne réveille pas quelqu’un qui dort, on reste humain, et surtout, on ne stresse pas sur la numérotation des questionnaires !» lance en guise d’ultimes consignes l’une des organisatrices, qui attendra ici, «au QG», que toutes les équipes reviennent pour récupérer les documents.

«ce n’est pas un questionnaire de police» : à la nuit de la solidarité 2024, le difficile décompte des sans-abri de paris

Direction le «secteur 10», qui longe les berges. Munie de la carte, Veronica décide de l’itinéraire. L’équipe se met en route et suit les quais face au Louvre : Paul, qui n’habite pas Paris, ne peut s’empêcher de prendre quelques photos. Rapidement, des membres de l’équipe rencontrent un homme qui se promène le long de l’eau.

«On n’a jamais rencontré un cas comme ça», s’étonne Dominique. L’homme dit avoir un logement à Strasbourg, mais être venu passer deux jours à Paris, où il n’a pas de logement. Il compte passer la nuit dehors, à marcher dans la capitale. «C’est étonnant, mais on le recense quand même», explique Paul Henry. La méthodologie de l’enquête doit primer, martèle-t-il. «Il dit qu’il est juste là pour la nuit mais il va la passer dehors, et il explique avoir payé ses billets de train pour venir de Strasbourg plus de 200 euros…», conclut-il en remplissant le questionnaire.

En continuant sous le pont du Carrousel, l’équipe découvre trois tentes. «Bonsoir ?», tente Paul. Pas de réponse. «Si les gens veulent nous parler ils sortiront, mais sinon on les laisse dormir», souligne Dominique. En balisant le secteur, l’équipe ne croisera que des tentes silencieuses et des péniches animées où la fête bat son plein. Au total, neuf campements de fortune sont relevés, la plupart à l’abri sous les ponts. Depuis l’une d’elles, sous le Pont Neuf, une lumière s’agite derrière le tissu. Mais personne ne sortira.

«Décompte a minima»

Le protocole, pour les tentes, est de les noter, mais impossible de savoir combien de personnes y dorment : personne ne doit être contraint de participer à l’enquête. Paul est déçu. «Oui, c’est un décompte a minima, mais en même temps nous ne voulons pas être accusés de gonfler les chiffres», tempère Paul Henry. «Et puis on a quand même relevé neuf tentes !», rappelle sa sœur. La veille, l’adjointe aux solidarités de la mairie, Léa Filoche, estimait que 400 personnes dormaient encore dans ces campements sous les ponts, en dépit de l’augmentation des places d’hébergement d’urgence.

Retour au «QG» plus tôt que prévu : la ronde se termine sans que l’équipe ne rencontre d’autres personnes dehors. Les rues sont calmes, dans ce 6e arrondissement qui, depuis plusieurs années, est la zone où le moins de personnes sans domicile fixe sont recensées. En 2023, sur les 3015 personnes rencontrées lors de la nuit de la solidarité, seules 53 se trouvaient dans le 6e. Dans 13e, le 10e ou le 18e, ce chiffre dépassait largement les 200. Dans le 19e, il atteignait un record de 400.

«Il y a une relative stabilité des chiffres depuis 2018», explique Paul Henry. Malgré de légères fluctuations d’une année à l’autre, «globalement on reste entre 2600 et 3000 au total», ajoute-t-il. La grande plus-value de l’enquête est aussi la proportion de femmes, «elle aussi stable, entre 10 et 14%», que de précédentes analyses de l’INSEE estimaient être de 2%.

Mais une enquête réalisée l’été, lorsque les dispositifs d’hébergement d’urgence cessent, permettrait de compléter le tableau. «Tous ces gens se retrouvent alors dehors», rappelle Dominique. Elle et Paul Henry sont formels : avec la canicule et le risque de déshydratation, «l’été est devenu un nouvel hiver». L’année dernière, une version estivale de la nuit de la solidarité a eu lieu dans trois arrondissements de Paris. Sera-t-elle renouvelée, alors que la ville s’apprêtera à accueillir les Jeux Olympiques 2024 ?

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